Je ne me suis jamais senti confortable vis-à-vis de l'initiative de William Gates de constituer la plus grosse fondation mondiale. Comme Rockefeller avant lui, un entrepreneur devenu richissime en écrasant la concurrence tente de se racheter une conscience, ou en tout cas un statut social de bienfaiteur, en donnant son argent à ceux qui peut-être ne seraient pas autant dans la misère sans lui. Et en même temps, Gates a bâti une fortune colossale en participant à une révolution positive pour l'humanité, celle de l'information numérique. Il n'a certainement pas volé son argent, il a utilisé les ressorts du capitalisme pour devenir l'homme le plus riche du monde et maintenant, à l'âge de la sagesse où l'on s'emmerde un peu, il s'aperçoit que 60 milliards de dollars, c'est beaucoup. Il décide alors d'en donner, ce qu'il aurait pu ne pas faire, et chacun de s'extasier.
Sauf que.
Un article traduit par
Courrier International (que je ne lis jamais assez) rapporte que la fondation du créateur de Microsoft peine à s'imposer comme un modèle de vertu. "Comme la plupart des organisations philanthropiques, en effet, la fondation Gates consacre chaque année 5 % de ses fonds à l'exemption d'impôts, mais les 95 % restants sont des investissements rémunérateurs visant à assurer la pérennité de l'organisation." Jusque là, rien que de très normal, mais Courrier International cite le quotidien LA Times qui a enquêté sur la gestion de la fondation :
L'enquête du Los Angles Times montre que la fondation Gates a investi avec profit dans plusieurs compagnies reconnues pour leur impact néfaste sur l'environnement et la santé. Mais d'autres activités qui concernent les Etats-Unis soulèvent également des problèmes éthiques. Ainsi, le quotidien californien révèle que "la fondation Gates avait de gros investissements dans des compagnies de crédit immobilier, qui ont été traduites en justice pour plusieurs raisons : avoir dépossédé de leur propriété des milliers de personnes ; dans une entreprise de santé qui a accepté de payer 1,5 milliard de dollars, pour éviter des ennuis judiciaires en raison d'erreurs médicales et de fraude ; ou encore dans des sociétés de fabrication de chocolat qui feraient travailler des enfants". En d'autres termes, "les critiques soulignent surtout que la fondation Gates n'a pas usé de sa puissance et de son immense richesse pour changer le comportement des compagnies dans lesquelles elle investit". En fait, je dois avouer que je me fous de la fondation Gates, c'est encore une fois l'occasion pour moi d'évoquer la sagesse norvégienne, pays à des années-lumière de notre Occident dont nous sommes si fiers et qui a pourtant tant à apprendre. Pendant que Gates effectue des donations médiatiques et fait fructifier des commerces discutables, la Norvège a nommé un philosophe de 39 ans,
Henrik Syse, à la tête de du fonds de pension national gérant les bénéfices du pétrole, soit un trésor de guerre de 250 milliards d'euros. En conséquence, Syse a pour responsabilité de gérer avec éthique près de 0,3% de toutes les actions mondiales et entend mêler capitalisme et responsabilité :
For example, Syse and his dozen co-workers investigate accusations about poor employment conditions, or about the exploitation of female and child labor at Third World production sites. In cases where there are accusations that, for example, the rights of women are being walked over or that methods of production clash with environmental regulations, the Norwegians ask the corporation in question to investigate and take action to eliminate the problem. Such practices are "a burden for us as an investor," Syse says. That's why he and his team look into every rumor. "We demand answers to all questions," Syse adds, and "complete openness." But it's not an easy task by any means -- especially for a fund that makes as many as 22,000 business decisions a year.
La Norvège m'inspire. Toutes ces décisions procèdent d'un sens de l'humanisme et du respect de l'environnement pris au sens large que je trouve extraordinairement intelligent et altruiste. Je demande donc solennellement au roi de Norvège, qui doit s'appeler Bluetooth© quelque chose, qu'il implique plus son pays dans la gestion de la crise au Liban. Au moins, qu'il envoie un drakkar de vikings pour régler son compte au Hezbollah et à ses sbires.
CAR, pendant ce temps, au Liban...
On m'a envoyé un article tiré de L'Humanité (que je ne lis jamais) intitulé sobrement "Cessons de caricaturer le Liban". Si c'était un titre de post de blog, on pourrait comprendre. Quand c'est un titre d'article de journal, on sent l'arnaque. Et en effet, cette tribune libre est signée Fabrice Balanche, que l'on ne connaît pas, mais qui travaille à l'Institut Français du Proche-Orient, que l'on ne connaît que trop bien. L'IFPO est un de ces nombreux centres de recherches à l'étranger que la France subventionne avec plus ou moins de bonheur. Dans le cas qui nous intéresse, vos impôts, mes bons amis, entretiennent un centre de recherches qui se focalise principalement sur l'urbanisme, et semble posséder grâce à la personnalité des directeurs qui s'y sont succédés, un solide sens de la partialité concernant la vie politique libanaise. Accueillant principalement des thésards qui trouvent le moyen de faire en six ans un travail qui réclame normalement la moitié, l'IFPO n'est hélas pas l'un des plus fiers représentants du génie français en matière de recherches en sciences sociales, et le dénommé Balanche, par sa splendide analyse de la crise actuelle et son soutien à peine déguisé au "forces de progrès" insurgée dans un quotidien qui porte encore le deuil de l'oeil de Moscou, rappelle avec éclat que les leçons de la guerre civile de 1975 n'ont pas atteint la place du Colonel-Fabien.
ce que nous voyons dans les manifestations de l’opposition « pro-syrienne », ce sont des gens de toutes les confessions, plutôt de milieux modestes, qui se rassemblent pour demander un État de droit. Ils exigent que le gouvernement rende des comptes sur les 43 milliards de dollars de dettes accumulées pendant quinze ans, sous la tutelle des Syriens certes, mais aussi celle de Rafic Hariri. Pourquoi leur quotidien ne s’est-il pas amélioré ? Pourquoi eux, qui n’ont d’autre ressource que leur travail, ne parviennent-ils pas à vivre et élever leurs enfants sans l’angoisse du lendemain. Il n’existe pas au Liban de services publics dignes de ce nom, les coupures d’électricité sont incessantes, l’eau du robinet n’est pas potable, la protection sociale est quasi inexistante, l’éducation est hors de prix, etc. Voilà le Liban moderne, laïque et démocratique que préconisent les « anti-syriens » au pouvoir à Beyrouth : une société des plus inégalitaires basée sur l’argent, l’utilisation du clientélisme à base confessionnelle ou notabilière pour asservir et diviser la population, la transformation du Liban en parc de loisirs pour les riches touristes arabes du Golfe. Sur le plan international, l’alignement du gouvernement de Fouad Siniora sur la politique américaine, dans un Liban meurtri par l’agression israélienne de l’été, ne fait qu’accentuer leur rejet par la majorité de la population libanaise
Vous l'avez compris, Fabrice Balanche a très bien compris les enjeux de la manifestation : c'est le petit peuple du Liban, opprimé et humilié, qui réclame plus de droit et un meilleur avenir pour ses enfants. Et éventuellement en plus la destruction d'Israël, la menace de pointer ses missiles sur le Liban, la reprise des assassinats politiques et surtout pas de tribunal international, sans parler de la loi de dieu sur les hommes. Comment faire comprendre la nature du Hezbollah en occident ? J'ai posé cette question mile fois sur ce blog. Je ne trouve pas de réponse et je continue à m'égosiller en vain. La personne qui m'a envoyé cet article m'a demandé ce que j'en pensais ; voilà ma réponse : quand on est con, on est con. Si les Occidentaux ne veulent voir dans ce qui se passe qu'une manifestation de gauche sympathique avec merguez, une fête de l'huma au centre-ville de Beyrouth, alors qu'on ne vienne pas se plaindre des conséquences qu'aurait une reconnaissance morale et diplomatique du Hezbollah. Je suis persuadé qu'Henrik Syse n'a pas investi dans "god's party ltd." et je me barre à Oslo pour une cure de sagesse.