28 février 2008

Salaud du livre

Parce qu'Israël célèbre soixante ans d'existence, le salon du livre de Paris en a fait son invité d'honneur. Parce que le Liban s'arc-boute sur un antisionisme primaire que les pays voisins ont abandonné depuis longtemps, il boycottera l'évènement pour bien montrer sa fierté arabe. M'en fous, c'est à celui de Bruxelles que je suis invité la semaine prochaine (et cet honneur me comble de joie ! Amis belges, j'arrive !). Quoique j'aurais bien aimé participer à celui de Paris pour bien manifester mon mépris de cette attitude libanaise qui consiste à placer son honneur là où d'habitude on met son slip.

En parlant d'honneur libanais, on verra ce qu'il en reste dans quelques jours, à la fin du deuil officiel du martyr Mougnieh. A ce moment-là, estiment quelques voix au Sud, le hezbollah pourrait tenter de venger son héros infanticide en balançant quelques roquettes sur les habitations israéliennes depuis le toit des immeubles libanais. Les tambours de guerre sont maintenant audibles par tous. La plupart des pays recommandent à leurs ressortissants d'éviter le Liban. L'USS Cole, un bâtiment de guerre américain, fait route vers les côtes libanaises. Deux centres culturels français ont fermé leurs portes "temporairement" (sans d'ailleurs qu'on voit bien la différence par rapport à quand ils étaient ouverts... Français ! Où vont vos impôts ?!). On va l'avoir ce conflit depuis le temps qu'on en parle. Ceux qui s'impatientent et le désirent le plus seront ceux qui en seront le plus affectés. Mais si ça pouvait être une excuse pour refaire les infrastructures libanaises, ce ne serait pas une guerre pour rien. Finalement, entre un nid de poule et un cratère de roquette, ça reste du slalom sur les routes du pays.

Heureusement que Persépolis a obtenu des Césars, ça remonte un peu le moral. Si seulement un tel projet sur le Liban pouvait être mené à bien. Il y a bien l'album de Zeina Abi Rached, Le jeu des hirondelles, un dessin un peu académique mais une belle histoire libanaise, émouvante et universelle. Encore une qui ne pourra pas présenter son travail à Paris parce que trois connards ont décrété que le Liban ne pouvait se trouver dans le même hall qu'Israël, alors que dans la réalité, ils sont à un jet de pierres l'un de l'autre. Ou à un tir de katiouchas.

|

23 février 2008

Brideshead revisited

Je reviens donc au Liban, notamment pour annoncer mon départ vers Bratislava. Déjà, à CDG et à "RaficHaririInternationalAirport", les éternelles bousculades de passagers qui refusent de faire la queue, se déploient d'un bond dès que l'avion s'arrête et se ruent vers la sortie avec la tactique de ne jamais regarder ailleurs que devant soi. Pour un peuple réputé méditerranéen et bon vivant, les Libanais sont bien stressés dans la vie de tous les jours, toujours pressés d'arriver en voiture (où ? on ne sait pas), de sortir de l'aéroport, de payer au supermarché, de se faire servir en général. Chaque fois que j'en chope un ou une en flagrant délit de dépassage frauduleux, j'ai droit à un regard d'une innoncence totale, suivi de l'expression d'une franche incompréhension, parfois emboîtée d'un "C'est ça le Liban", lâché avec fierté. La fierté d'être mal élevé. Passons, j'ai des choses plus gentilles à dire.

La route de l'aéroport est décorée des photos du martyr-terroriste que pleure le hezbollah. Difficile de ne pas se sentir rassuré en voyant ces grands panneaux d'où Mugniyé semble regarder vers l'avenir avec confiance (hahahahaha !), travesti en militaire avec sa bonne barbe de boucher antisioniste. J'essaie de ne pas trop sourire, ne connaissant pas les opinions politiques du chauffeur de taxi, mais le coeur y est. Another One Bites the Dust. Il en reste beaucoup, mais les loups entre eux finissent toujours par s'entre-dévorer. C'est ce que je me dis.

Curieusement, lorsque j'annonce mon départ, j'ai des réactions certes chaleureuses (qui me font un temps questionner le bien-fondé de ma démarche : c'est vrai, ça, pourquoi partir avec un job en or ?) mais personne ne cherche à me retenir. Au début, c'est vexant, mais sous les blagues (emmène-nous avec toi !) et les félicitations, je commence à comprendre que mes collègues m'envient de partir. L'un d'entre eux, éternel optimiste, semble même s'effondrer devant moi l'espace d'une minute en avouant n'avoir jamais été aussi pessimiste, y compris au plus fort de la guerre civile. Ma rencontre avec le Big Boss se déroule merveilleusement, et lui aussi ne cherche pas à me retenir, m'incitant également à bouger autant que possible tout en soulignant la perte blablabla, les relations futures blablabla et encore merci blablabla. Je me rends compte de plus en plus à quel point j'aime les gens qui m'entourent, combien il est difficile de les laisser comme s'ils partaient vers un destin atroce alors que j'avais le droit de sauter du train, et comme il me sera difficile de ne pas penser à eux en cas de pépin.

Mais partir vers Bratislava va aussi m'enlever toute excuse pour ne pas accomplir ce que je veux. Au Liban, trop souvent en raison des coupures de courant, d'électricité, des embouteillages, de la situation politique, des bombes, on a tendance à se laisser aller en se demandant "à quoi bon ?". Je vais devoir adopter une nouvelle mentalité qui ne prend pas en compte les excuses. Maintenant, ce sera impossible de me plaindre sur mes conditions de vie, à moins de passer pour un Français geignard, du genre de ceux qui maudissent la RATP en cas de grève et lui souhaite d'être privatisée à court terme. Je retourne vers un pays normal, quoique le Kosovo est proche. Un mot à ce propos : quelle erreur d'avoir reconnu ce petit pays claudiquant ! La Serbie continue de se faire humilier par l'Europe et, comme l'Allemagne des années 20, risque fort de le faire payer aux grandes nations. Déjà la Russie affirme être prête à utiliser l'armée pour mater la sédition, et les Français ne se rendent pas compte des conséquences de l'indépendance du Kosovo. Et la Corse ? Et la Bretagne ? Les yeux rivés sur le fameux droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la France semble avoir oublié les batailles pour nationaliser les régions pourtant plus autonomes culturellement que l'artificiel Kosovo.

Ce qui conduit à s'interroger sur l'avenir du Liban. Si le Kosovo peut s'arracher à la Serbie, quid du hezboland, soutenu financièrement par la Syrie et l'Iran ? Je reste encore quelques temps ici. On va avoir l'occasion de rediscuter de tout ça. Les raisons pour lesquelles j'avais ouvert ce blog tiennent : jamais, il y a quelques années, je n'aurais pensé que Joumblatt serait l'homme politique libanais qui aujourd'hui parle le mieux du Liban et de sa situation politique ! Pays de fous difficile à quitter, impossible à oublier.

|

18 février 2008

Kill your Idols

Pour le Times, c'est clair, la mort du chien de guerre du hezbollah est due au Mossad. Pour le chef de la National Intelligence Mike McConnell en revanche, ce serait un coup de la Syrie, voire du hezbollah lui-même. Si on considère l'excellent timing de l'assassinat, on en vient presque à se dire que Nasrallah pourrait s'être accommodé de la mort de son fidèle boucher puisqu'il a ainsi pu éclipser les manifestants du 14 mars lors de la Saint Valentin. A coups de vociférations, de menaces et de tambourinements de la poitrine, Nasrallah a démontré qu'il n'a que faire d'un tribunal international puisqu'il connaît les coupables universels : les Israéliens et les juifs dans le monde entier par extension. On a vu que le hezbollah est impuissant à causer quelque dommage par la force militaire que ce soit à son voisin du sud, mais on le sait également capable de frapper à l'extérieur des frontières comme en Argentine, où le parti de dieu a déjà démontré toute sa capacité à attaquer en traître.

On a tendance à l'oublier, mais les grands combats du XXe siècle ne sont pas gagnés. Que ce soit les droits des femmes, bafoués dans le monde entier, l'antisémitisme qui ressurgit de plus en plus comme politiquement correct, ou encore le fascisme qui prend une forme de plus en plus vert-brun, les sociétés ouvertes de Karl Popper ont fort à faire pour le demeurer. La tentation majeure pour une démocratie consiste toujours, en cas de crise, à se refermer sur elle-même, ce qui est une grave erreur. Trouver des boucs-émissaires, tenter de blâmer les autres pour ses propres fautes, encourager les actes de haines pour détourner l'attention populaire des vrais problèmes, voilà des signes clairs qu'une société devient malade, à la manière des vomissements qui préfigurent la fièvre et la décomposition du corps. Quand Nasrallah parle, j'ai l'impression qu'il dégueule. Et je suis effaré de voir ses foules manger sa bile et la vénérer en se félicitant que la solution à tous leurs problèmes réside dans l'anéantissement de ceux qui leur ressemblent comme des frères. A quelle température les discours d'un des plus grands malades du Moyen-orient vont-ils porter le Liban ?

Et une fois de plus, l'Europe envoie des messages contradictoires, car parler d'occident ne veut de toute façon rien dire. Alors que l'Union européenne semble avaler tout le continent à toute vitesse, le Kosovo entend devenir indépendant des Serbes qui ne l'entendent pas de cette oreille. La Russie s'oppose aux USA et à l'Union européenne, chacun vantant les mérites du divorce ou au contraire de la conciliation. Si la Yougoslavie a pu éclater, le Liban n'en-a-t'il pas également le droit ? Si la Tchécoslovaquie s'est scindée, ne peut-on avoir une société ouverte au Nord du Liban, et un Etat moyen-âgeux au nord de la Galilée ? Qu'en pensent les aounistes qui brandissent le document d'entente nationale comme la foule adore la gourde ou la sandale dans Life of Brian des iconoclastes Monty Pythons ? On ne sait pas qui a tué Mughnieh et une fois encore, c'est peu important. Ce qui l'est c'est que son assassinat, d'abord fêté par les démocraties, a ensuite causé un profond sentiment de malaise lorsqu'on a réalisé que les attentats allaient recommencer dans le monde. Comme si le hezb changeait de stratégie et réalisant que sa peau de mouton ne servait plus à rien, la jetait à terre pour montrer sa vraie nature de loup. On a dit que le numéro deux du hezbollah était responsable de la mort de plusieurs dizaines d'occidentaux, et qu'il en détiendrait le record sans Ben Laden. Si des attentats sont commis dans le monde contre des "cibles juives", pourra-t-on encore nier que le hezbollah est un groupe terroriste ? Une nouvelle ère commence. La lutte continue.

|

13 février 2008

DC Comics

Etrange comme certaines morts sont bienvenues. Celle de Imad Mughniyeh arrive pile pour rappeler aux barbus qu'ils n'ont pas le monopole de la violence et de l'assassinat politique. Je me mords les lèvres parce que je ne veux pas dire que je me sens rassuré par cet attentat en plein Damas, mais pourtant c'est comme si j'apprenais que le Liban dispose d'un protecteur, une sorte de Batman qui vit dans l'ombre et intervient quand la situation devient trop désespérée. C'est vous dire le niveau de réflexion auquel je suis parvenu, si je commence à remercier des super-héros comme les illuminés prient le christ ou autre prophète.

Demain sera un test évident pour tous ceux qui refusent la transformation d'un Libancal en hezboland. Non pas que tous ceux qui se retrouveront pour commémorer l'assassinat de Rafic Hariri soient des adeptes du trio Joumblatt-Saad-Geagea, mais ils auront en commun de refuser que leur pays soit le théâtre d'affrontements internationaux qui n'ont que trop duré au Liban. La résistance, la vraie, s'établit en plusieurs étapes : d'abord s'accorder sur le rejet des extrémismes, ensuite jeter les bases d'une coexistence entre démocrates, enfin, de l'électricité pour tous ! Je me rassure en me disant que, comme tous les éléments sont présents pour que demain explose en guérilla urbaine, le Liban nous surprendra une fois de plus en n'accomplissant pas nos prévisions. Je le souhaite de tout coeur, car un pays, comme un homme, possède une quantité limitée de courage et de capacité de résistance à l'adversité. Il me semble qu'on atteint le fond, surtout quand les rumeurs de sécession se font de plus en plus pressantes.

Je vous écris d'un pays qui a fait sécession, et qui semble le regretter. Se séparer est parfois nécessaire, mais pas avant d'avoir épuisé toutes les solutions de "rabibochage". J'espère que demain, le Liban fera parler de lui comme le 14 mars où le monde entier se frottait les yeux en découvrant des centaines de milliers de démocrates rassemblés pour demander un avenir meilleur sans les adeptes des dictatures morbides qui n'aiment pas ce petit pays trop singulier. Demain, ce sera un sondage, une "votation" à l'échelle du pays : le Liban veut la démocratie, et ne veut plus de l'orgueil arabe qui lui a tant coûté sous les pressions de ceux qui n'osent plus se frotter à Israël. Je croise les doigts. Et j'espère que les bonnes âmes qui veillent sur le Liban sauront intervenir à temps, car il va falloir une pleine armée de Batmen pour contrer les autres hommes en noir.

|

07 février 2008

Qui se souviendra de Dominique de Villepin ?

Je m'éloigne petit à petit du Liban et je me rapproche de mon nouveau domaine. Dès demain, je pars explorer la Slovaquie pour me fixer dans les mois qui viennent à Bratislava. Changement absolu de vie. Mais il me semble que je quitte le Liban au bon moment. Pour les amoureux du pays, il restera toujours les Chroniques beyrouthines de mes copains Nathalie et David, où ils pourront dialoguer et s'informer sur les évènements du hezbollah country. Les nouvelles sont plus qu'inquiétantes, et l'histoire semble se répéter. Pas seulement la libanaise, mais aussi celle de tous les pays qui rebasculent de la démocratie à la dictature. Plus personne aujourd'hui n'entretient d'optimisme sur l'avenir du Liban, la seule question qui se pose consiste à savoir comment le pays va mal finir. J'ai de la peine en écrivant ces lignes, parce que je ne veux pas non plus démoraliser ceux qui restent. Mais se bercer d'illusions et refuser la réalité ont toujours été des maux bien libanais. Le hezbollah montre chaque jour que sa stratégie est mortelle pour la démocratie, et il va bien falloir se résoudre à le confronter dans ses objectifs morbides. L'armée est déjà dans la ligne de mire des terroristes qui se rendent compte qu'ils devront la miner de l'intérieur avant de passer à la suite du programme. Avec le soutien d'Aoun et de ses masses fanatisées, plus besoin de cheval de Troie ; la cité s'ouvre aux barbares, avec l'inconscience d'une jeune vierge pourtant bien décatie.

J'arrête là. Je crois avoir dit tout ce que j'ai à dire sur le Liban. Je serai bientôt observateur, et n'aurai plus à vivre la peur au ventre en me demandant quand sera la prochaine explosion ou le prochain affrontement armé dans la rue. Avant cela, encore quelques mois à faire les paquets et à tout préparer pour que mon éventuel successeur continue dans de bonnes conditions. Et je commence à parler publiquement de mon bouquin, en m'étonnant toujours qu'il puisse intéresser. Hier, c'était une conférence chez des étudiants en "province". Bientôt, ce sera la foire de Bruxelles, où je me réjouis d'aller tant la Belgique est un pays qui m'enchante. Déjà, on me paie pour le prochain ouvrage mais j'ai une confession à faire : je n'arrive pas, en-dehors de ce blog, à écrire une ligne lorsque je me trouve au Liban. Il me faut les ors de Paris pour m'inspirer et rien que pour cela, il fallait que je parte. Je ne sais pas si Bratislava possède ses muses, je ne connais absolument rien du pays, sauf qu'il est au centre de la nouvelle Europe, et que rencontrer les Slovaques sera comme retrouver d'anciens cousins qu'on a perdus de vue. Je suis impatient de partir. Je vous raconterai tout.

|
Weblog Commenting and Trackback by HaloScan.com