23 février 2008

Brideshead revisited

Je reviens donc au Liban, notamment pour annoncer mon départ vers Bratislava. Déjà, à CDG et à "RaficHaririInternationalAirport", les éternelles bousculades de passagers qui refusent de faire la queue, se déploient d'un bond dès que l'avion s'arrête et se ruent vers la sortie avec la tactique de ne jamais regarder ailleurs que devant soi. Pour un peuple réputé méditerranéen et bon vivant, les Libanais sont bien stressés dans la vie de tous les jours, toujours pressés d'arriver en voiture (où ? on ne sait pas), de sortir de l'aéroport, de payer au supermarché, de se faire servir en général. Chaque fois que j'en chope un ou une en flagrant délit de dépassage frauduleux, j'ai droit à un regard d'une innoncence totale, suivi de l'expression d'une franche incompréhension, parfois emboîtée d'un "C'est ça le Liban", lâché avec fierté. La fierté d'être mal élevé. Passons, j'ai des choses plus gentilles à dire.

La route de l'aéroport est décorée des photos du martyr-terroriste que pleure le hezbollah. Difficile de ne pas se sentir rassuré en voyant ces grands panneaux d'où Mugniyé semble regarder vers l'avenir avec confiance (hahahahaha !), travesti en militaire avec sa bonne barbe de boucher antisioniste. J'essaie de ne pas trop sourire, ne connaissant pas les opinions politiques du chauffeur de taxi, mais le coeur y est. Another One Bites the Dust. Il en reste beaucoup, mais les loups entre eux finissent toujours par s'entre-dévorer. C'est ce que je me dis.

Curieusement, lorsque j'annonce mon départ, j'ai des réactions certes chaleureuses (qui me font un temps questionner le bien-fondé de ma démarche : c'est vrai, ça, pourquoi partir avec un job en or ?) mais personne ne cherche à me retenir. Au début, c'est vexant, mais sous les blagues (emmène-nous avec toi !) et les félicitations, je commence à comprendre que mes collègues m'envient de partir. L'un d'entre eux, éternel optimiste, semble même s'effondrer devant moi l'espace d'une minute en avouant n'avoir jamais été aussi pessimiste, y compris au plus fort de la guerre civile. Ma rencontre avec le Big Boss se déroule merveilleusement, et lui aussi ne cherche pas à me retenir, m'incitant également à bouger autant que possible tout en soulignant la perte blablabla, les relations futures blablabla et encore merci blablabla. Je me rends compte de plus en plus à quel point j'aime les gens qui m'entourent, combien il est difficile de les laisser comme s'ils partaient vers un destin atroce alors que j'avais le droit de sauter du train, et comme il me sera difficile de ne pas penser à eux en cas de pépin.

Mais partir vers Bratislava va aussi m'enlever toute excuse pour ne pas accomplir ce que je veux. Au Liban, trop souvent en raison des coupures de courant, d'électricité, des embouteillages, de la situation politique, des bombes, on a tendance à se laisser aller en se demandant "à quoi bon ?". Je vais devoir adopter une nouvelle mentalité qui ne prend pas en compte les excuses. Maintenant, ce sera impossible de me plaindre sur mes conditions de vie, à moins de passer pour un Français geignard, du genre de ceux qui maudissent la RATP en cas de grève et lui souhaite d'être privatisée à court terme. Je retourne vers un pays normal, quoique le Kosovo est proche. Un mot à ce propos : quelle erreur d'avoir reconnu ce petit pays claudiquant ! La Serbie continue de se faire humilier par l'Europe et, comme l'Allemagne des années 20, risque fort de le faire payer aux grandes nations. Déjà la Russie affirme être prête à utiliser l'armée pour mater la sédition, et les Français ne se rendent pas compte des conséquences de l'indépendance du Kosovo. Et la Corse ? Et la Bretagne ? Les yeux rivés sur le fameux droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la France semble avoir oublié les batailles pour nationaliser les régions pourtant plus autonomes culturellement que l'artificiel Kosovo.

Ce qui conduit à s'interroger sur l'avenir du Liban. Si le Kosovo peut s'arracher à la Serbie, quid du hezboland, soutenu financièrement par la Syrie et l'Iran ? Je reste encore quelques temps ici. On va avoir l'occasion de rediscuter de tout ça. Les raisons pour lesquelles j'avais ouvert ce blog tiennent : jamais, il y a quelques années, je n'aurais pensé que Joumblatt serait l'homme politique libanais qui aujourd'hui parle le mieux du Liban et de sa situation politique ! Pays de fous difficile à quitter, impossible à oublier.

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