Partant du principe que quand on n'a rien à dire, on se tait, je ne dis rien depuis un certain temps. Et puis comme je suis en Ouganda, le blog me manque. Pendant mes pérégrinations, je dicte dans ma tête ce que je pourrais écrire dans WIL, sans pour autant ressasser les clichés habituels sur l'Afrique, terre de contrastes, les Africains aux sourires si doux, et l'Ouganda, perle de l'Afrique de l'Est. Installé à Entebbe, ce qui rappellera des souvenirs à mes lecteurs israéliens, je réside dans un hôtel situé à côté d'un jardin botanique superbe, qui parfois laisse migrer ses singes et autres toucans dans le parc où nous déjeunons. Dimanche, une horde de singes à face noire s'est emparée des lieux, chassée en soirée par le gang des chats avec qui ils ont maille à partir. La nuit, le concert des grenouilles et crapauds éclate avec force, interrompu seulement au petit matin lorsque les oiseaux reprennent leur droit naturel au chant diurne. Sinon, la bouffe est pas terrible, beaucoup de curry.
Entebbe semble surtout fréquentée par des blancs expatriés qui profitent du golf, des bords du Lac Victoria et du calme de la ville dans un climat tempéré puisqu'en altitude. La capitale, Kampala, est plus agitée. Pour s'y rendre, on emprunte ces fameuses routes en terre battue qui strient le pays et permettent une navigation sur trois rangs : deux qui roulent à gauche chacun de leur côté en théorie, et un qui passe entre les deux en faisant des appels de phare à celui qui a eu la même idée mais en sens inverse. Venant de Beyrouth, on est assez peu impressionné par la conduite ou les embouteillages. Arrivant du Liban, on se sent peu dépaysé : au final, les pays en voie de développement semblent avoir des points communs, notamment le manque d'infrastructures publiques et une vision de la politique féodale. Je m'étais promis de ne pas jouer au touriste Club Med et de ne pas juger le pays sur une semaine en émettant des avis aussi intéressants que "ils possèdent peu mais ont l'air si heureux !". Je laisse cela aux nombreux bobos que je croise près de Jinja, tous habillés comme au retour d'un "trip" en Inde, et qui rapporteront sûrement à quel point cette aventure humaine a changé leur vie, tu vois quoi, je veux dire. Je n'ai pas choisi de venir ici, on me l'a proposé et une invitation pareille ne se refuse pas. Mais je n'ai aucun point de repère et aucune attente par rapport au pays. Je pense que ça devrait faciliter l'approche si je fais de mon mieux pour mettre mes préjugés de côté. Pas facile.
Je suis fasciné par les écoliers que je croise. Ils sont aisés à reconnaître, tous vêtus de la même couleur qui identifie leur établissement. Je les rencontre lors d'une visite à la "Wildlife Reserve", où ils admirent le lion ou les rhinocéros. Alors que leurs adultes me regardent sans expression aucune mais fixement, les enfants sont fascinés par "Mzungu", le blanc, qu'ils touchent parfois et qui les fait bien rire. Je déclenche l'hilarité chez ces petits et leur rire est incroyablement communicatif. J'ai l'impression qu'au lieu de se foutre de moi, ils rigolent de bon coeur parce que je suis étrange. C'est vrai que je peux difficilement passer pour un local, et on me prend pour un Canadien sans que je comprenne pourquoi. Je rencontre encore des petits en allant aux sources du Nil, en fait quelques bulles dans le lac Victoria que surplombe un monument érigé à la gloire de Gandhi (?) qui a fait déposer ses cendres dans plusieurs fleuves, dont le Nil. Au retour, j'aperçois d'autres enfants qui ne semblent pas avoir la chance d'aller à l'école et portent de lourds jerricans malgré leurs deux ans à vue d'oeil.
L'anglais est très développé, d'autant qu'on attend le rassemblement du Commonwealth bientôt. Les journaux sont donc faciles à lire, et relate les mêmes problèmes qu'on pourrait lire dans le Daily Star libanais : corruption, fuite des cerveaux, émeutes d'étudiants, mais aussi des articles plus spécifiques à l'Ouganda. L'un d'eux claironne qu'enfin, pour 400 000 shillings (même cours par rapport au dollar que la livre libanaise), on peut enfin savoir "qui est son père", en effectuant un test de paternité. Des strips de bande dessinée sponsorisés par USAID ornent le quotidien "New Vision" pour expliquer l'importance d'acquérir des moustiquaires pour contrer la malaria. Plus loin, la même technique est utilisée pour énoncer ce qui fait une bonne école "where everyone's needs are important...The school protects from bullying and sexual harassment". On y parle aussi beaucoup de SIDA, qui reste un fléau redouté, et parfois la réponse est trouvée dans la religion, comme sur ce panneau publicitaire montrant une jeune fille encadré du slogan "She is saving herself for marriage... What about you?". Les missionnaires pullulent en Ouganda, et les Jesus Freaks nous ont cassé les burnes tout une soirée en chantant leurs complaintes de drogués du seigneur dans une salle de conférences de l'hôtel qu'ils ont pris soin de ne pas fermer pour qu'on en profite.
Il me semble impossible de comprendre ce pays en si peu de temps, je ne peux faire que quelques observations. D'abord la cherté de la vie. Dans les supermarchés, les produits me paraissent inacessibles au commun des Ougandais. J'emmène mon chauffeur d'excursion Godfrey chez Uchumi, et il découvre les joies du Red Bull, qu'il trouve dégueu mais si ça donne de l'énergie... Ensemble, nous nous rendons au tombeau des rois, et le guide me raconte les rapports difficiles pour le moins que les Ougandais entretiennent avec la Couronne. Un pays qui n'aime pas les Anglais ne peut pas être mauvais. Je chasse cette pensée en pensant au sentiment qui doit animer les anciens colonisés par la France. Est-ce qu'on a été pires que les Brits ? Quand je vois les salopards qu'on a accueillis et soutenus, on a dû être au même niveau. En tout cas, les Anglais ont peut-être donné une langue commune, mais pas forcément un destin commun : les idées de tribu (groupe ethnique) et de clans restent fortes, et se marier dans son clan est considéré comme incestueux. Et l'armée du Seigneur lutte contre les forces gouvernementales au nord du pays, pendant que Museveni, chef du parti unique, continue son quatrième mandat de président.
J'aimerais uploader quelques photos, mais vous vous doutez que l'Internet local est sporadique. J'attendrai ma prochaine destination africaine pour le faire. En grattant frénétiquement mes piqûres de moustique, je vais profiter de ma dernière journée en Ouganda avant de voler vers l'Afrique du Sud. Ce sera dur d'éviter les clichés et les comparaisons tant les deux pays semblent séparés par plus que des kilomètres. En attendant, je vais tenter de déchiffrer cette énigmatique colère du "Local Governement Major General Kahinda Otafiire" qui affirme que "The Ministry of Local Government is not my
kibanja", niant ainsi (?) qu'il utilise le ministère pour diriger les marchés d'attribution des terres à Kampala. Attention Monsieur Kahinda Otafiire ! Même en France, un ancien premier ministre peut se retrouver mis en examen pour utilisation frauduleuse du pouvoir de manière trop visible et trop stupide !