We are One
Hier, avant de quitter Paris, je suis allé voir Sofiane à l'hôpital. Le 11 décembre 2007, lors des attentats qui ont frappé les Nations Unies à Alger, Sofiane est resté coincé 17 heures sous les décombres de l'immeuble. "18 heures" corrige sa mère qui a assisté au calvaire de son fils jusqu'à ce qu'il soit libéré, exsangue et au bord de la mort. Finalement, Sofiane a eu de la chance, il n'a eu qu'une jambe amputée. A pas encore trente ans, il a échappé à la mort, et même s'il a eu du mal à accepter d'être amputé, il a décidé, avec le soutien de sa hiérarchie aux Nations Unies, de revenir travailler pour le PNUD dès qu'il sera "sur pied". J'ai pris une belle leçon d'humanité avec Sofiane. Et son courage a renforcé mon attachement à cette grande idée malmenée qu'est l'ONU.
Les terroristes qui ont attaqué Alger en décembre 2007 sont les mêmes que ceux qui ont attaqué les bâtiments de l'ONU en juillet 2006 à Beyrouth. Ceux qui ne comprennent pas que les Nations Unies, avec tous leurs défauts, incarnent la seule solution politique à l'avenir de l'humanité. Sans les Nations Unies, les grandes puissances continueraient leurs stratégies d'empire. Sans ce formidable outil supranational, la planète irait beaucoup plus mal qu'aujourd'hui. Les cyniques, les barbus, les imbéciles et les ignorants peuvent se gargariser des échecs de la diplomatie onusienne ; il n'empêche que son rôle, s'il n'a pas toujours été positif, n'a jamais été négatif. Mieux, le "machin" comme on l'appelle à la suite d'un homme d'un autre temps, coûte peut-être cher, mais rapporte énormément. Sans l'ONU, il n'y aurait plus de Liban par exemple. Les Nations Unies incarnent un avenir meilleur, bien loin des hypocrisies politiques comme ces jeux olympiques dont on nous dit qu'ils encouragent les valeurs humanistes, quand ils ne prônent que la compétition et l'écrasement de l'adversaire. Quant à l'Europe, on cherche encore à comprendre ce qui permet d'entrer dans ce club fermé de pays riches et "chrétiens", à la manière d'un mauvais country club.
Le hezbollah se réarme. Il le dit ouvertement et dirige ostensiblement ses armes vers l'intérieur des terres libanaises. En cas de conflit, la FINUL devrait intervenir mais son mandat limité et son armement peu en rapport avec la puissance des belligérants risque d'en faire un dommage collatéral. Il est temps de se préoccuper sérieusement de la situation et d'admettre une chose essentielle : les Libanais ne sont pas capables de trouver une issue à la crise qui les paralyse depuis maintenant des années. L'ONU doit s'emparer de la situation et régler le problème avec les différents acteurs qui en viennent déjà progressivement aux poings, avant de revenir aux bonnes vieilles habitudes. Intervenir au Liban sera considéré comme de l'ingérence, mais ce sera plutôt la fin d'une hypocrisie puisque les grandes et les moyennes nations interviennent au Liban quotidiennement. Aucune nation, si puissante soit-elle, n'est capable de résoudre la crise seule. La seule solution passe par un organe supranational décrié, mais primordial, qui, tant qu'il ne sera pas reconnu à sa juste valeur, produira son lot de victimes désigné à la vindicte populaire par les adeptes d'un nationalisme d'une autre époque.
Sofiane sera transféré la semaine prochaine dans un centre de rééducation où il recevra une prothèse qui remplacera sa jambe. J'aimerais surtout qu'on ne lui prenne pas ce qui l'empêche de tomber dans la dépression : sa conviction qu'il pourra servir la cause de l'humanité, même amputé.