10 mai 2008

Barbarians at the Gate

J'ai souvent des internautes qui m'écrivent pour me demander mon pronostic sur l'avenir du Liban, soit qu'ils veulent/doivent y emménager, soit qu'ils aient envie d'y faire du tourisme. Jusqu'à présent, je répondais invariablement la même chose : ça peut péter à tout moment ou rester calme pendant des mois. L'avantage, c'est que je ne risque pas de me tromper. Et le Liban me donne toujours raison.

Les récents évènements beyrouthins sont une nouvelle preuve de l'instabilité extrême du pays qui jusqu'à présent était accepté par tous. Au Liban, on s'inquiétait de la fermeture des pubs de Gemmayzé, de celle programmée de Monoprix ou des prochains concerts donnés par quelques artistes courageux ou inconscients. Il faut nous comprendre, le Liban n'est pas en ébullition culturelle. La production intellectuelle francophone est indigente, et on a tendance à se concentrer sur ce qu'on a. A l'étranger, le Liban ne faisait plus la Une des journaux et pour cause : pas de morts en nombre comme en Irak ou en Birmanie, pas de glamour comme le mariage d'une speakerine avec le roi du rire banlieusard, pas de scandale comme les retards dans les transports en commun ou la spéculation sur le pétrole. On pensait donc le Liban assagi, et on attendait l'été dans le monde entier, en prenant soin de lire quelques conseils de régime pour la plage entre deux photos de mariage de la speakerine avec le roi du rire banlieusard. Et on avait raison. Si on commence à s'inquiéter de ce qui pourrait arriver de grave, alors qu'on a déjà du mal avec ce qui se passe de dramatique, on aurait même plus assez des yeux pour pleurer.

Le hezb sait tout cela, et a profité de la lassitude de l'opinion publique, ainsi que de sa capacité à accepter la loi du plus fort pour réussir son coup d'Etat. Les chancelleries sont préoccupées, mais surtout par la violence qui pourrait toucher leurs ressortissants. Elles mettront du temps à réaliser qu'un parti fasciste a fait main basse sur le pays en menaçant de créer encore plus de chaos si on ne lui cède pas. Le 14 Mars a fait le dos rond, espérant se poser en victime et désireux d'éviter de remplir un rôle qu'il pourrait laisser à d'autres comme d'habitude. Nettoyer au Karcher le Liban ne sera donc pas la tâche ou la tache de la majorité. On s'en doutait un peu, on le voit maintenant, il va encore falloir que ce soit accompli par l'extérieur. Mais qui ? Chacun propose sa méthode, avec notamment Israël qui feint de ne pas s'en occuper sur l'air de "on vous l'avait bien dit".

Pour ceux qui en doutent, il est bon de le répéter : le hezbollah a fait un coup d'Etat et ses méthodes n'augurent rien de bon même si elles ne surprennent pas. L'attaque de la chaîne de télévision Future TV appartenant au clan Hariri est peut-être un réglement de comptes politique, mais c'est surtout une atteinte à la liberté d'expression qui donnera lieu à de nombreuses répétitions. L'ironie c'est que ceux-là même qui avaient approuvé la fermeture de la chaîne MTV se retrouvent maintenant à geindre sur la disparition (temporaire on espère) de la Future. Mais au Liban, le méchant c'est toujours l'autre. Et à force de crier au loup, je doute qu'on se rende compte de l'importance historique de la prise du pouvoir de la dernière démocratie arabe par l'Iran et la Syrie. Vieille histoire diront certains. Quand ils ont fermé la Future, je n'ai rien dit, je ne suis pas allé à la manif par peur de me faire tirer dessus. Et quand ils fermeront les blogs, je serai parti j'espère depuis longtemps. Après tout, un hezbollahistan au Liban, ce peut être amusant. Tant qu'ils ne ferment pas les pubs de Gemmayzé.

Un mot enfi, en forme d'épitaphe, pour Aoun, qui déclarait hier avec un aplomb digne d'un homme qui refuse la réalité :

Aujourd’hui (hier) est une victoire pour le Liban et non pas (une victoire) d’une partie sur une autre. C’est une victoire dans le sens d’un retour au pacte national, au rééquilibrage entre les composantes de la société libanaise. Cet équilibre était rompu, ce qui avait provoqué des problèmes politiques, des interférences internationales et une atteinte à la stabilité. La crise dure depuis plus de deux ans et demi. Je me suis adressé par le passé aux pays étrangers et au Conseil de sécurité et je les avais prévenus que nous nous orientons vers une situation de confrontation. J’ai adressé une note à Ban Ki-moon et aux membres du Conseil de sécurité. Mais malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’échos pour résoudre le problème. Je me suis adressé aux Libanais à plusieurs reprises pour leur dire de ne pas se procurer des armes car elles ne serviraient à rien.


Sans commentaire. Ou plutôt si. Aoun se rêvait De Gaulle, il finira Pétain.

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