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Signe des temps : d’habitude les vendeurs de rue vendent des drapeaux des différentes factions libanaises, orange pour Aoun, jaune pour le hezb, vert pour les maradas, blanc avec un cèdre pour les forces libanaises, etc. Désormais, ce sont les drapeaux siglés de l’armée que l’on peut acquérir pour témoigner de son attachement aux forces de l’ordre libanaises. Il faut dire qu’une grande majorité de la population soutient ses « martyrs » dans leur lutte contre le terrorisme au Nord du Liban.
Je n’étais pas allé dans la région depuis deux semaines, et c’est avec appréhension que je m’y suis rendu aujourd’hui. Je m’attendais à voir des colonnes de fumée et à entendre des canons de 155mm, mais j’ai surtout constaté un grand nombre de barrages de l’armée libanaise qui semblent indiquer que la situation est sous contrôle. En tout cas au Nord, car déjà Ain el Heloue, près de Saïda, avec ses « soldats de la Syrie » semble vouloir prendre le relais de Fatah el Islam en faisant entrer en action une autre émanation du régime syrien décidé à déstabiliser encore plus le Liban. La couverture de Paris Match de cette semaine titre : « Al Qaida rallume la guerre civile au Liban ». Même si c’est aller un peu vite en besogne (et que ce magazine putassier met en couverture les déboires de la fille Hallyday dont on se fout totalement), il est certain que le Liban se rallie brutalement à la guerre contre le terrorisme que mènent conjointement les Etats-Unis et l’Europe, et à laquelle sont mêlés de plus en plus de pays arabes. L’Arabie saoudite, jadis pestiférée après le 11 septembre en raison de l’implication de ses ressortissants, apparaît maintenant comme le fer de lance de la lutte contre les extrémistes néo-fascistes à prétexte religieux. Le Liban, en acceptant l’aide militaire américaine et en se plaçant résolument dans une perspective d’élimination physique sans merci de tous les terroristes basés sur son territoire rentre dans une nouvelle ère : après avoir accueilli tous les « combattants de la liberté » dans la Bekaa, le pays du cèdre s’aperçoit de leur capacité de déstabilisation. A ce rythme, le hezbollah, qui refuse de prendre parti entre les terroristes et le gouvernement, risque de se retrouver militairement isolé. C’est tout ce que l’on souhaite à l’équipe Siniora qui a très habilement manœuvré depuis juillet 2006 et qui commence à voir sa stratégie récompensée.
Michel Aoun semble s’en apercevoir et comprend qu’il est isolé. Il réalise enfin que sans l’appui de la France, il n’atteindra jamais son rêve de puissance et ne pourra pas devenir président de la République en septembre. Alors il fait du charme, et a profité de sa visite en France pour parler au peuple par l’intermédiaire de ses journaux. Ainsi, dans Le Figaro Magazine, Aoun explique son programme et ses motivations, sachant fort bien qu’il sera difficilement contesté dans le pays qui lui a jadis sauvé la vie et procuré le gîte (Et le Liban, c’est tellement compliqué, ma chère !). Sa propagande est pourtant épaisse et grossière. En introduction, Michel Aoun laisse planer un doute concernant le Fatah el Islam :
Les uns voient dans ses actions armées la main de l’Amérique et de ses alliés
arabes, les autres affirment que c’est la Syrie. Une chose est certaine :
[…] cette organisation n’a aucun droit de cité dans la société libanaise.
Sauf que personne n’a jamais imaginé que Fatah el Islam puisse être armé par « la main de l’Amérique et de ses alliés arabes ». Il s’agit ici d’une assertion indigne qui montre qu’Aoun continue à vouloir flatter ses alliés du hezbollah, dont les objectifs et les méthodes restent très proches du Fatah el Islam, tout en voulant rassurer la France sur ses intentions. Aoun persiste à se prendre pour De Gaulle (N’étant plus à l’âge où l’on cherche la fortune, où l’on désire le pourvoir pour le simple goût de l’exercer, je puis tout naturellement occuper une place où je jouerai le rôle de fédérateur), au point qu’il affirme avoir fait changer le hezbollah !
Ce travail a été amorcé avec la conclusion, le 6 févrie 2006, d’une entente avec
le Hezbollah, sanctionnée par un document en dix points conduisant à la paix
civile ( !). Le Hezbollah, dont on connaît les attaches avec l’Iran et la
Syrie, a ainsi modifié son discours politique en en retirant les questions de la
libération de la Palestine et de Jérusalem. Ses ambitions affichées aujourd’hui
se réduisent à la libération des fermes de Chébaa […] et à la libération des
prisonniers libanais d’Israël. Il s’agit là d’avancées significatives :
nous avons fait tomber le mur de défiance et de peur mutuelles qui a été érigé
au fil es trente dernières années.
Dans quel monde vit Michel Aoun ? S’est-il rendu compte qu’un conflit a opposé Israël et le hezb en juillet 2006 ? En parlant comme la France et la Grande-Bretagne à propos de Hitler en 1938, Aoun pense peut-être se rendre intelligible vis-à-vis d’une opinion française qui ne connaît du Liban que le terrorisme et la destruction. Il est important pour les Français de garder en mémoire que Michel Aoun s’est allié avec un mouvement terroriste à des fins électorales, accord qu’il prétend destiné à « démocratiser » le hezb. Il lui en cuira, à moins qu’il ne trahisse ses ennemis avant, décision qui semble se préciser devant la danse du ventre qu’il a entamé afin de charmer les Français. Souhaitons que Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner ne se laissent pas hypnotiser par les tactiques d’un homme véritablement prêt à tout pour accomplir ce qu’il croit être sa destinée. Au lieu d’écrire un livre, j’aurais préféré que Michel Aoun en lise un, de préférence historique.
Une autre bombe vient d’exploser à Beyrouth. Une nouvelle nuit de peur et d’inquiétude. Ceci est mon 600ème post, et je pense devant la situation qui nous attend au Liban, qu’il y en aura encore beaucoup d’autres.