26 mars 2007

Vertu française

M6 (la chaîne de télé, pas le petit dictateur marocain) nous a entraînés hier dans les coulisses de la campagne de Jean-Marie Le Pen. Conscient qu'ils avaient grandement contribué à le diaboliser en 2002, les médias tentent désormais de traiter le candidat du Front national comme n'importe quel prétendant au titre, avec l'espoir que le nombre de ses supporters diminuera. Il semble que ce soit peine perdue. Les électeurs du Menhir ont ceci de particulier, contrairement à ceux des partis "traditionnels", qu'ils sont extrêmement (sic) fidèles, et vouent un véritable culte au doyen des candidats. Celui-ci, bon an mal an, améliore son score à chaque élection, en brandissant toujours les mêmes arguments de la conspiration contre lui, du "tous pourris", de la faute aux étrangers, des valeurs de la France qui foutent le camp. Jean-Marie Le Pen me fait peur. Pas tellement pour ses idées, que je trouve tellement absurdes qu'elles sont indignes d'intérêt, mais pour ce qu'il représente. En le voyant, je me demande comment les autres partis peuvent-ils être incapables de comprendre ce qui motive les électeurs du FN ? C'est pourtant clair comme de l'eau de roche. JMLP est le roi des démagogues, capable d'agiter toutes les peurs conscientes ou inconscientes, comme de représenter tous les fantasmes de pureté et de panacée politique. Le Pen, c'est le démon tentateur des mythes, le serpent de la bible, celui qui ne paiera pas le prix de ses conseils et se fout royalement des conséquences. Claude Chabrol a été pote avec lui au temps où le borgne dirigeait la corpo de droit à Paris, et se rappelle d'un "fouteur de merde magnifique". Il n'a que peu changé aujourd'hui, et apprécie de "foutre la merde" chez les bien-pensants, les timorés ou les bourgeois. Ceux qui le suivent ne s'en rendent pas compte, et sont persuadés qu'il les conduit vers un autre monde, alors qu'il n'est que le joueur de flûte de Hamelin : l'autre monde, c'est celui d'après la falaise, soit la mort sous une forme ou une autre.

Dans ce reportage, on nous présentait aussi quelques habitants d'une cité près de Calais où le score du FN avait été particulièrement haut en 2002. J'ai toujours du mal à penser que tous les habitants d’une cité puissent être homogènes, mais on parle aujourd'hui dans les médias des bobos des villes, des paysans des villages et des rebuts des cités. Raccourci journalistique qui commence à faire son chemin, comme si tous les habitants de HLM étaient des exclus de la société. Le journaliste nous montre le délabrement d'un hall d'entrée, avec les boîtes aux lettres arrachées et les murs couverts de tags avec des morceaux de carrelage manquant. Plus loin, deux hommes "tiennent le mur" en alignant les canettes de bière. Ils admettent ne pas voter, n'avoir rien à faire de la journée, et voudraient juste un endroit pour boire tranquilles. Quel est l'avenir de ces deux épaves ? Aucun, et on aura vite fait de les plaindre, les pauvres. Et s'il leur prenait l'envie de réparer leur entrée plutôt que de picoler toute la journée ? D'améliorer leur cadre de vie ? De tenter de sortir de cette spirale de la déchéance en essayant de ne plus subir leur avenir, mais de le construire ? Le journaliste ne posera pas cette question, on sent au contraire qu'il les plaint, et nous aussi, on les plaint, les pauvres.

La France procède d'un héritage catholique fort, sur lequel le socialisme n'a eu aucun mal à s'implanter. Nanti de ces deux influences idéologiques, la réaction française naturelle devant ces deux rebuts de cité sera la compassion devant leur triste sort, éventuellement de leur donner la pièce, mais sûrement pas de tenter de leur "apprendre à pêcher". Le pauvre a un statut sacré en France : qu'il en soit là parce qu'il a décidé de ne rien foutre ou à la suite de difficultés colossales qui l'ont brisé, il entrera plus sûrement au paradis que le riche qui, selon la doctrine catholico-socialiste, a moins de chances d'y entrer qu'un chameau par le chas d'une aiguille. François Hollande admet qu'il n'aime pas les riches, et la France s'indigne du salaire des patrons qui ont certainement volé leur argent. En revanche, un Johnny Hallyday ou un Zinedine Zidane font rêver et font partie des personnalités favorites des Français, avec le défunt Abbé Pierre. En France, le riche est un salaud, sauf s'il exerce une activité populaire, le pauvre est vertueux. Aussi, plutôt que de penser à une meilleure répartition des richesses, ce qui est l'un des objectifs que devrait avoir l'Etat, on entretient cette misère à dessein. On doit s'occuper de "nos pauvres", comme disait les dames patronnesses, au lieu de faire en sorte qu'il ne le soit plus. On donne aux restos du cœur, on écrase une larme devant les décès des SDF en hiver, on loue l'Abbé Pierre pour son abnégation, tout cela est bel et bon. Mais parce qu'un ancien pauvre ne peut être qu'un salaud de nouveau riche, on préfère qu'ils se complaisent dans cette innocence que procure l'indigence, cette vertu provoquée par le dénuement, cette soi-disant noblesse de la pauvreté.

Des hommes comme Jean-Marie Le Pen prospèrent sur ce terreau, en promettant que le monde changera s'il parvient au pouvoir, et ses suivants, pas toujours bien nantis, ne s'étonnent pas que le grand leader fustige les riches et les puissants depuis sa résidence somptueuse de Montretout. "Il ne suffit pas d'être heureux, il faut aussi que les autres soient malheureux", dit officieusement le proverbe. Et si le principal objectif au bien-être en France était cette idée terriblement bourgeoise, mais aussi socialiste et catho, que l'argent ne fait pas le bonheur, et qu'il vaut mieux rester dans une misère vertueuse ? Et pourtant, devenir riche, tous en rêvent, il n'y qu'à voir le développement des jeux d'argent ou des séries télé qui promettent la fortune aux futures stars de la chanson, en attendant une "foot academy" ou "à la recherche du meilleur buteur des cités qui sera payé en millions (pendant que les autres le regarderont à la télé depuis leur HLM)". Quand Madelin voulait résoudre le problème du chômage par la création d'entreprises, il était ridicule, mais quand les hommes politiques jouent avec la compassion pour maintenir la populace dans la médiocrité, ce sont des salauds.

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