Tango Charlie
Charlie Hebdo a été relaxé dans l'affaire des caricatures et c'est une très bonne nouvelle. Bien sûr, les plaignants secouent la tête et se grattent la barbe en regrettant que la France ne comprenne pas le blasphème que constitue une caricature du prophète. Tant pis, on les emmerde. Mon journal favori se tire d'affaire une fois de plus et peut continuer sa saine critique d'une société qui ne lit plus que L'Express et autres joyeusetés pour cadres préoccupés par l'achat de leur prochain caméscope.
Charlie est un journal nécessaire, que je lis depuis des années. J'apprécie les éditos de Val, les dessins de Charb, les enquêtes de Caroline Fourest, le point de vue de Cavanna, et même la mauvaise foi insensée de Siné, persuadé d'être libertaire alors qu'il est juste beauf (sympathique) de gauche. Siné fustige Israël qui s'en prend aux terroristes et appelle à la solidarité d'avec les damnés de la terre en Palestine qui posent des bombes, mais il se refuse à admettre la justesse de la cause des mêmes terroristes qui en Corse ont plastiqué sa résidence. Les avis sont souvent divergents dans Charlie, et c'est ce qui fait sa force, tout comme son absence de pub constitue son indépendance.
On s'étonne parfois que je lise cet hebdomadaire classé à gauche. Charlie n'est pas de gauche, ou alors j'en suis également. Charlie prend des positions de gauche, mais sait souvent en prendre le contrepied. Un exemple dans le dernier numéro : un article d'Agathe André se réjouit que le tueur d'inspecteurs du travail en ait pris pour trente ans de prison. L'auteur conclut "un message clair envoyé à tous ceux qui rêvent de transformer leurs petites entreprises en paradis d'esclavagistes". Souvent, Charlie estime que les gens que l'on envoie en prison sont des victimes ; dans ce cas précis, un meurtre de fonctionnaires, le magazine considère que c'est bien fait, et serait même prêt à louer la diligence des policiers qui ont arrêté le coupable, quand à une autre époque on aurait gueulé "mort aux vaches", ce que Siné clame fréquemment même s'il est contre la tauromachie.
Ces petites contradictions de ce magazine me correspondent bien. J'ai du mal à croire qu'en France on puisse être complètement d'accord avec un candidat, un parti, un programme. Tout comme je suis convaincu que même les catholiques pur Christ ne sont pas toujours d'accord avec leur pape, j'estime qu'on a le droit dans un pays comme la France de se sentir appartenir à une famille politique, tout en appréciant des idées de l'autre camp, et en enviant le candidat d'à côté qui paraît provenir d'un herbage plus vert que le sien propre. J'ai déjà dit que je voterais Ségolène Royal bien que je sois (ou plutôt, à force, qu'on me dise) de droite. Je ne crois pas que ce soit pire trahison que de voter pour un candidat qui se prétend au milieu, ou pour un borgne qui prétend casser le système, ou pour un garçonnet qui rêve de la présidence comme d'une voiture de pompiers. Je pense également qu'on a les hommes politiques qu'on mérite, et que ceux qui trouvent que la campagne est médiocre devrait se présenter aux élections, ce dont je doute. Je remarque que les femmes qui se plaignent de l'absence de femmes aux élections ne votent pas pour celles qui y sont présentes, que les jeunes qui déplorent la vieillesse des candidats n'accordent pas leur allégeance à leurs contemporains, et que même les immigrés votent extrême-droite, peut-être pour montrer leur patriotisme (?!). Le vote dans nos démocraties n'est pas rationnel, et trouver la mine d'un candidat déplaisante (Jospin rigide, Royal arrogante, Voynet désagréable...) et ne pas voter pour lui en conséquence montre que nous ne sommes parfois pas dignes d'élire nos représentants, ou que nous avons bien ceux qui nous ressemblent.
Et que devient le Liban me direz-vous ? Il s'intéresse de près à nos élections, car il sait tout le changement qu'une nouvelle équipe à la tête du pays pourrait apporter. Alors on attend, comme toujours. Parfois, une déclaration fait sursauter : "Pour le général Alain Pellegrini, ce sont les groupes islamistes affiliés à el-Qaëda et non le Hezbollah qui constituent « la menace principale ». Pellegrini, qui a dirigé la FINUL après avoir été attaché militaire à l'ambassade de France, connaît son Liban, et sait qu'il est important que la France ne s'expose pas trop à la vindicte du parti de dieu qui a su dans les années 80 exterminer avec soin les représentants de l'hexagone au pays du cèdre. Accuser Al Qaida demeure le meilleur moyen, comme dans le 1984 d'Orwell, de provoquer la vigilance contre l'ennemi invisible sans insulter qui que ce soit, et passer pour un fin connaisseur. De son côté, le hezb attend sagement, d'autant que le leader de l'Iran vient d'affirmer que son pays n'aurait pas la bombe, parce que c'est "contraire à sa religion". J'ai vérifié, c'est véridique, il est dit dans le Coran "la bombe atomique tu ne fabriqueras point car c'est Haram". En revanche, rien sur les caricatures de Mohammed. Les barbus qui ont attaqué Charlie se seraient-ils fourvoyés ? Ils font appel, paraît-il, ce qui montre que la France est bonne fille. Je doute que l'appel ou le pourvoi en cassation existe dans les tribunaux coraniques.