L'orient la nuit
Le Liban possède de nombreux titres de presse francophones, même si le niveau de français laisse souvent à désirer... L'Orient-le jour s'en distingue par son degré soutenu de langue et offre chaque jour à son lectorat, principalement chrétien "conservateur", ses 15000 copies contenant des articles tirés de l'AFP, des compte-rendus d'actualité locale et des analyses du monde en prenant le Liban comme épicentre. Moins lu par les Français que l'autre quotidien en langue étrangère, le Daily Star, l'Orient-le jour s'est voué corps et âme à défendre le camp du 14 mars, faisant ainsi le choix d'un Liban démocratique, mais pour ne pas apparaître comme un organe de presse traître à la patrie, le journal a tendance à en rajouter dans le nationalisme libanais. Ainsi, cet article de Issa Goraieb, indéboulonnable chef de la rédaction, intitulé "Des souris et des fauves" en date d'aujourd'hui :
Pays d’appartenance (et non plus seulement de visage) arabe, patrie définitive, a-t-il été nécessaire de préciser dans le préambule de la Constitution de Taëf, le Liban a miraculeusement tenu tête aux visées tantôt conflictuelles, tantôt objectivement convergentes, de ses proches voisins. C’est-à-dire de la Syrie, qui n’a jamais renoncé à ses prétentions pseudo-historiques sur notre territoire, et d’Israël, État raciste se situant par définition aux antipodes de la formule libanaise.
Il n'est pas de plus grande crainte au Liban que de se voir qualifier de pro-sioniste. On peut être pro-syrien au nom de la longue "amitié" existant entre les deux Etats arabes, il est possible de clamer son soutien à la Perse qui tient tête au méchants américains, plusieurs s'affirment francophones et francophiles malgré les errements de la diplomatie arabe de la France, mais lorsqu'on évoque Israël, il est important de bien montrer que l'on n'a pas l'ombre du début d'un semblant d'estime pour un Etat que même un journaliste chevronné et cultivé comme Goraieb qualifiera d'Etat raciste. Qui est l'Etat raciste ? Celui qui fait voter tous ses citoyens selon les mêmes normes et les intègre de la même façon à la vie de la Cité (à moins de considérer que le sort particulier des druzes dans l'armée israélienne soit raciste) ? Ou celui qui refuse d'accorder à plus de 400 000 Palestiniens d'autres droits que de vivre dans des camps insalubres, leur refusant l'exercice de nombreux métiers, craignant leur naturalisation et empêchant par un jeu de lois fallacieuses le mariage avec des citoyens libanais ? L'étranger n'a aucun droit lorsqu'il vit au Liban. Ce n'est peut-être pas du racisme, mais c'est bien de la xénophobie d'Etat. Sans parler du scandale des esclaves à domicile venus du Sri Lanka, d'Ethiopie ou des Philippines. Ou des esclaves sexuels venant par bateaux des pays de l'Est flatter les envies des touristes des pays environnants où la prostitution est péché.
On peut admirer le modèle libanais, qui tente de faire fonctionner la seule démocratie arabe dans un pays minuscule environné de puissants voisins belliqueux. Il n'est pas pour autant nécessaire de flinguer les voisins, surtout le seul dans la région qui puisse se targuer d'une authentique démocratie et d'une économie digne d'un pays occidental. Je suis toujours attristé quand un Libanais ne trouve pas d'autre moyen de vanter son pays qu'en discréditant les autres. M. Goraieb, coincé entre ses convictions pour le 14 mars et sa peur qu'on le disqualifie en tant que Libanais patriote, aurait pu faire l'économie d'un saillie d'antisionisme que partage hélas les dictatures les plus arriérées de la terre.