28 mars 2007

Beyrouth-Belfast

Superbe prestation du Liban qui, au sommet de Ryad, envoie non pas une délégation comme tout le monde, mais deux, représentant chacune l'un des mouvements de mars de plus en plus ancrés dans leurs choix de ne pas choisir. Le divorce semble consommé entre les factions libanaises, et surtout, leurs scènes de ménage ne passionnent plus personne. Vous avez remarqué que je parle plus ici des élections présidentielles françaises, qui sont plus intéressantes que celles de 2002 axées sur l'insécurité, que des tribulations libanaises. La raison est que comme tout le monde, je m'en lasse et m'en détourne. C'est pourtant maintenant que tout doit se jouer, car la crise peut conduire à un nouvel affrontement entre le hezb et Israël, pour peu que le parti de dieu en reçoive l'ordre de son maître iranien.

L'exemple pour le Liban réside aujourd'hui peut-être dans l'Irlande du Nord. Jusqu'ici, les loyalistes, que les journalistes appellent les protestants, et les républicains, que les médias surnomment les catholiques, ne trouvaient pas de compromis possible, déchirés entre leurs allégeances politiques et leurs traditions antagonistes. Aujourd'hui, Ian Paisley et Gerry Adams peuvent enfin dialoguer et s'asseoir à la même table sans risquer d'en venir aux mains, voire aux armes. La raison en est simple et n'a rien à voir avec la diplomatie britannique qui n'a eu de cesse de stigmatiser les républicains en ignorant les crimes d'armes des mouvements loyalistes : l'Eire est devenu riche, et attire les investisseurs comme jamais. Alors qu'auparavant la population avait le choix entre une Angleterre puissante et une Irlande certes folklorique mais arriérée et miséreuse, l'option nationaliste devient maintenant envisageable devant la croissance du dragon celtique. L'unification de l'île se dessine pour des raisons économiques : les opérateurs de téléphonie mobile vont notamment offrir un tarif insulaire plutôt que d'appliquer deux tarifications nord et sud. Il n'existe pas de frontière physique entre Eire et Ulster, juste une barrière dans les têtes. Pendant longtemps, les protestants accusaient l'autonomie de l'île de provoquer la domination des papistes (Home Rule is Rome Rule). Devant les vociférations du Vatican sous Ratzinger, on hésite à leur donner tort. Le Monde rapporte que Benoît le seizième a, samedi dernier, relancé le débat sur la dimension chrétienne de l'Europe.
Le pape a dénoncé l'"apostasie" de l'Europe, c'est-à-dire la rupture avec son patrimoine chrétien. Dans un discours alarmiste, il a appelé les hommes politiques catholiques à l'"objection de conscience" contre les lois touchant aux valeurs "universelles et absolues" (défense de la vie, de la famille) qui ne supposent aucun "compromis". Pour lui, l'identité de l'Europe est "historique, culturelle et morale", avant d'être "géographique, économique et politique". Elle est constituée de valeurs "que le christianisme a contribué à forger". En l'oubliant, l'Europe risque d'être "mise en congé de l'histoire".
Car il est bon de rappeler que lorsque la France était catholique, elle n'a jamais provoqué de guerre, ne connaissait pas la misère, et disposait du meilleur système de gouvernance qui soit, une monarchie de droit divin qui laissait plus de 95% des citoyens dans la misère. S'il existe une dérive de la morale, je dis bien "si", les bonnes âmes sont tout prêtes à croire que c'est à cause de la laïcisation de la société, jusqu'à "Romano Prodi, qui a souhaité dimanche que soit "donné aux Eglises un rôle de consultation". Ajoutant : "En ces temps d'intégrisme, les Eglises sont un des éléments les plus stables de notre société.". Celle-là, Romano, elle est bien bonne : il est certain qu'il n'y a pas plus stable, ou plus conservateur, qu'une religion. Mais laquelle choisir pour l'Europe ? Le pape est-il prêt, à l'image des négociations de paix en Irlande, à se rapprocher des orthodoxes ou des protestants, qu'il avait accusé il y a quelques années d'être de faux chrétiens ? Sans parler des musulmans et des juifs, qui bien que minoritaires, devraient être consultés selon toute logique dans des débats moraux. Ratzinger sent ses parts de marché s'effondrer. L'avantage, c'est qu'il est le meilleur exemple de la nécessité de la laïcité, qui protège les croyants, et permet aux athées de ne pas avoir à se considérer comme des déviants.

On l'a vu en Irlande, on l'observe au Liban, la pauvreté, toujours elle, pousse les populations dans les bras des religions qui en ont fait leur fonds de commerce. Lorsqu'on a un toit, à manger et une école pour ses enfants, on ressent moins le besoin de fariboles sur la vie dans l'au-delà. L'avenir du Liban s'obscurcit de plus en plus, comme en témoigne le regain de religion dans un pays qui a pu autrefois être le fleuron de l'éducation dans le monde arabe. Aujourd'hui, cette première place (sans deuxième place d'ailleurs) s'écroule, concurrencée par des pays comme Dubaï, Abou Dhabi ou le Qatar qui invitent des universités étrangères sur leur sol pour en assurer la prospérité. Quelle tristesse de penser que l'expérience démocratique libanaise pourrait prendre fin, surtout à l'occasion de ce sommet de Ryad ou l'Arabie saoudite apparaît comme le chantre de la paix et de la fraternité ! L'attention du monde se détourne de ce petit pays exaspérant, et cherche d'autres drames. On parle du Darfour, une catastrophe sans nom, et où les Nations unies s'agitent en vain devant la Russie et la Chine pour faire cesser les massacres. Que l'on agisse pour le Darfour ! Mais il doit bien rester une petite place pour le Liban, enfant gâté qui déçoit toujours, mais qui convenablement orienté, pourrait devenir un excellent élément dans la turbulente classe des pays arabes.

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