20 mai 2008

Ubuntu

Il est parfois bon de prendre du recul en ces temps de crise libanaise. On ne peut pas comparer le Liban avec l'Afrique du Sud, mais ce qui s'y passe en ce moment mérite l'attention. Comme on pouvait le prévoir, les millions d'immigrants fuyant les régimes dictatoriaux voisins, en particulier du Zimbabwe, subissent la vindicte d'une population qui se paupérise à mesure que le pays lui-même devient de plus en plus riche. Récemment, on a pu assister à ce que la presse a nommé "pogroms", terme fort mais qui me semble trop connoté en ce qu'il désigne d'abord les massacres de juifs et de tziganes en Europe de l'Est et en Russie. Plusieurs immigrés ont été roués de coups, tués en pleine rue et on a même pu voir ces images insoutenables d'un homme brûlé vif, juste parce qu'il serait l'un de ces voleurs de travail dans un pays où le taux de chômage atteint 40% d'une population qui peine à trouver un modèle post-apartheid.

Ceux qui lisent ce blog depuis au moins l'été dernier savent à quel point je suis tombé amoureux de l'Afrique du Sud, au point d'y projeter un exil dans un futur très proche. Cette "nation arc-en-ciel" a permis la création d'une philosophie appelée ubuntu, que l'un des rares ecclésiastiques respectables, Desmond Tutu, a pu définir ainsi :

Quelqu'un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand — et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou oppressés.


Imaginez ma joie d'entendre un prêtre mettre l'intérêt de l'humanité avant l'idéologie fumeuse de sa religion ! Ubuntu est à la base de la réconciliation nationale, qui a évité des bains de sang après une apartheid désastreuse et fasciste. Au Zimbabwe, ubuntu se dit unhu en shona, ce que je trouve curieusement proche de ONU. Ubuntu est un concept africain, qui reste du domaine de la philosophie, mais qui pose les bases d'une nation dont l'avenir oscille entre cauchemar absolu ou au contraire modèle de coexistence pour tous. Le "berceau de l'humanité" comme phare d'une nouvelle civilisation globale. Belle idée qui rejoint celle des Nations unies comme lieu de discussion des hommes, et qui remplacerait la guerre où personne ne gagne.

Libre à vous de trouver l'Afrique du Sud bien éloignée des préoccupations des Libanais ou des Français mais ubuntu pose que chacun est lié et doit se sentir concerné par son prochain. L'un des gros problèmes de l'Afrique du Sud reste ses dirigeants, en particulier Thabo Mbeki dont la tolérance à l'encontre de Robert Mugabe commence à échauffer les esprits. Jacob Zuma ne sera peut-être pas meilleur, mais tant qu'en Afrique du Sud j'entendrai ubuntu, je garderai espoir devant les atrocités commises en ce moment à JoBurg. La langue libanaise est connue pour incorporer rapidement des expressions et concepts d'autres langues. Pourrait-elle dépasser le dédain massif de la population pour les Africains et incorporer une notion aussi universelle et moderne qu'ubuntu ? On en résout pas les problèmes avec seulement des mots, mais ils permettent parfois d'éviter les conflits. In Ubuntu I trust.

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