18 mai 2008

Bis Repetita

Imaginez qu'au moment où je vous parle, à minuit, il existe encore des demeurés au Liban pour tirer un feu d'artifice depuis le Casino. Je vous laisse deviner le niveau de classe et de QI que possèdent les instigateurs de cette élégante façon de montrer, un dimanche soir, et après des jours de vrais tirs, que leur fille cadette Zeina se marie enfin avec l'ingénieur Khalil et qu'il est important de montrer à quel point c'est crucial en foutant le fric par les fenêtres, en réveillant tout le monde, et en nous faisant nous demander si la guerre civile n'est pas déjà arrivée dans cette enclave "chrétienne" réputée pour sa sanctuarisation (pas sûr que le mot existe mais vous avez compris l'idée).

Car on peut douter que les pourparlers de Doha amènent leaders de la majorité et de l'opposition à trouver une solution pour le Liban. D'abord, on remarque que la dernière fois qu'une telle réunion s'est produite, c'était en France. Cette fois-ci, le centre de la diplomatie s'est déplacé vers un pays qui entretient certes d'excellentes relations avec les USA, mais reste loin d'être un modèle de démocratie pour le reste du monde. Il semble que toutes les belles idées concernant la préservation de la démocratie libanaise fassent partie du passé, et qu'il s'agisse maintenant de trouver un avenir réaliste au Liban. La dernière démocratie arabe deviendrait donc ipso facto, grâce aux grands frères arabes, une sorte de Disneyland hallal, mais où on pourra picoler et aller aux putes tranquillement, et même tirer des feux d'artifice au casino. J'aime beaucoup cette photo (Libération/Reuters) car elle illustre la réalité qui veut que les copains sunnites du Premier ministre Fouad Siniora lui dictent maintenant d'homme à homme comment il doit se comporter à l'avenir pour éviter d'autres affrontements avec le hezb. Celui-ci a déjà fait savoir que ses armes ne sont pas un sujet de négociation ; le principal point de litige libanais ne sera donc pas abordé, et cette réunion ne sera qu'une occasion pour les leaders libanais de visiter le Qatar et d'apprécier sa spectaculaire ouverture sur le monde.

Je ne pense pas qu'il soit encore possible d'attirer l'attention de l'opinion publique sur ce qui se passe au Liban. Pourquoi se préoccuper de 80 morts au grand maximum quand la Chine recense ses victimes par milliers, et que la Birmanie compte en dizaines de milliers les morts de catastrophes naturelles ? Je vais quand même tenter d'expliquer pourquoi, même si on n'apprécie pas le Liban, il est urgent de se préoccuper de son sort simplement par égoïsme. Imaginez, amis occidentaux, que le hezbollah accomplisse son objectif de devenir un parti légitime et honorable, tout en gardant ses armes. Croyez-vous une seconde que le hezbollah va s'arrêter là ? Qu'il va se contenter de récupérer éventuellement les fermes de Chébaa et devenir un bon voisin respectueux de l'existence d'Israël et entretenir des liens cordiaux avec l'occident ? Le Liban va très vite devenir une annexe de l'Iran, de la Syrie ou des deux, bien que leurs objectifs soient assez divergents. Les réunions du hezb sont souvent scandées des cris de "Mort à Israël, mort à l'Amérique, mort à l'occident". On trouvera toujours d'éminents linguistes pour considérer que la traduction n'est pas tout à fait bonne, et qu'ils ont beau le hurler, ils ne le pensent pas vraiment, c'est juste de la motivation pour le middle-management, au final, la haine contre ces trois entités est entretenue. L'occident n'intervient pas au Liban par peur des attentats sur son sol, et la France, comme les USA, garde un souvenir cuisant des bombes islamistes. Si le hezbollah garde ses armes, devient un acteur politique du débat libanais et continue sa progression d'influence et de popularité parmi la coalition des anti-américains, antisionistes, antisémites, anti-capitalistes, islamo-gauchistes etc., on peut parier à peu de frais que les attentats se produiront quand même en occident, mais à une échelle largement supérieure à ce qu'ils pourraient être aujourd'hui si les pays occidentaux réagissaient contre le coup d'Etat du hezb. En ne faisant rien, ils ouvrent la voie à une médiation du Qatar, qui a beau accueillir une base américaine et des facs étrangères, n'en reste pas moins un pays dont l'idéologie est très éloignée d'un certain esprit des Lumières.

Est-ce le seul choix pour le Liban ? Un Iran-bis sous contrôle hezbollah ou un parc d'attractions pour bédouins hypocrites ? Encore une fois, je ne le crois pas, mais la solution ne passe d'évidence plus par les Libanais. Elle se joue en grande partie à l'étranger, et il est urgent de réagir autrement que par des communiqués indiquant l'état de préoccupation du Quai d'Orsay, le tout étant d'amener la diplomatie, si possible onusienne, à une meilleure alternative qu'un règlement du problème par l'armée israélienne. La diaspora libanaise se rassure en créant des groupes sur Facebook prônant l'amour et la joie et en exhortant à l'amour du prochain. Je pense qu'il est temps de miser plutôt sur l'égoïsme des occidentaux qui doivent convaincre leurs leaders que l'avenir de la civilisation basée sur le respect de tous, l'égalité entre hommes et femmes et la liberté de la presse (entre autres) passe par le Liban. Avec un léger détour par Doha.

Et vous avez remarqué ? On peut parler du hezbollah sans gagner de point Godwin. Mais le coeur y était.

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