06 novembre 2007

Journal de ville (ça continue)

Il pleut au Liban alors ça n'arrange pas les choses. Il faut quand même rappeler qu'on a pu rester en bras de chemise jusqu'à mercredi, ce qui ne veut pas dire qu'on s'est retroussé les manches. Rien à signaler dans l'Etat phénicien, mais comme mes sondages sont désastreux auprès de plusieurs catégories de la population, notamment les "terroristes prêts à se faire sauter pour la gloire de dieu pour parvenir à la destruction du grand, du moyen et du petit satan", les "possesseurs de grosses bagnoles allemandes qui balancent leur papier par terre et sortent rue Monnot en faisant garer leur bagnole par un valet" ainsi que les "dames d'un certain âge d'Achrafieh qui ont fait au moins deux opérations de chirurgie esthétique et estiment qu'il existe un complot judéo-franc-maçon ce qui ne les empêche pas de penser qu'elles rendent un service à leur bonne en les payant 75 dollars par mois", j'ai décidé qu'il me fallait multiplier les rencontres avec mes futurs éventuels administrés et les gens de la haute.

Comme nous sommes en période d'élection étudiante, j'ai commencé par me rendre dans les universités pour dialoguer avec la jeunesse. J'ai évidemment parlé de la situation française, et j'ai dit que je soutenais les étudiants, parce que je ne vois pas pourquoi ils iraient dans des bonnes facs avec des bons profs alors qu'on pourrait continuer le système actuel qui est sûr de produire un taux impressionnant de chômeurs. J'ai montré à leurs collègues libanais que les Français se battaient pour un monde plus juste, et qu'en réduisant de manière drastique le niveau des instituts d'enseignement supérieur français, on finirait bien par atteindre celui des pays en voie de développement dans un souci d'égalité. Soutenez vos frères de l'Hexagone ! Ai-je hurlé, ce qui m'a valu des applaudissements nourris, et même quelques rafales de fusil automatique tirées en l'air par des étudiants légèrement excités et vêtus de jaune. J'ai donc fait la tournée des facs, grisé par le soutien que m'accorde une jeunesse si difficile à convaincre d'habitude par la démagogie. Les débats ont surtout porté sur l'impérialisme culturel des USA que j'ai trouvé de bon ton de vilipender, ainsi que sur l'incompréhensible situation en Belgique où les habitants ne sont même pas foutus de former un gouvernement. Puis, j'ai pris soin de citer Khalil Gibran, notamment "Nous sommes comme les noix, nous devons être brisés pour être découverts" La Terre est ma patrie et l'humanité, ma famille". Mon jeune auditoire a trouvé que j'étais fort poétique, et décidément un homme de bien. Allez hop, suivant.

J'ai alors vu l'ambassadeur de France. Comme on a dû lui faire la vanne des centaines de fois, je n'ai pas réclamé de Ferrero Roche d'or, mais le coeur y était. Il m'a assuré de la volonté de la France de s'assurer que l'élection présidentielle libanaise se déroule sans interférence étrangère. Je lui ai alors assuré qu'en retour, une fois élu, je ferais en sorte que les élections présidentielles françaises se déroulent dans l'intérêt de la démocratie, et que le peuple libanais y veillerait. Il a eu l'air surpris. Je me suis dit qu'il devait être ému, ce n'est pas tous les jours qu'on doit proposer de l'aide à la France. J'ai continué en lui proposant d'envoyer des chauffeurs de bus libanais pour remplacer les grévistes en France. Il m'a dit qu'il y penserait, puis il a regardé sa montre et m'a dit, ho la la, le temps file. Nous avons donc pris congé. En sortant, j'ai admiré l'architecture discrète et parfaitement intégrée au paysage de la chancellerie. Qu'il est loin le regretté temps du mandat !

Je me suis dit qu'il faudrait bien que j'aille voir les députés prisonniers du Phoenicia et je me suis même demandé si, pour des raisons de crédibilité, je ne devrais pas y prendre une chambre pour pouvoir discuter avec les copains. Mais les tarifs restent un peu au-dessus de mes capacités financières, une fois que j'ai payé les traites de la berline, les bodyguards et les soins corporels de Madame (toujours pas trouvé de nom à celle-là, et on dirait qu'elle ne parvient pas à m'attirer les voix des "dames d'un certain âge d'Achrafieh qui ont fait au moins deux opérations de chirurgie esthétique et estiment qu'il existe un complot judéo-franc-maçon ce qui ne les empêche pas de penser qu'elles rendent un service à leur bonne en les payant 75 dollars par mois"). J'ai pensé à un hôtel moins cher, et puis je me suis dit que pour l'étape suivante, les menaces de mort, il valait mieux que je sois dans un endroit exposé médiatiquement. J'ai donc décidé de m'établir dans les tentes du centre-ville, où les possibilités d'attentat sont basses, le loyer nul et où on fait bien la teuf.

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