Journal de ville (2)
Rude journée que ce dimanche. D'abord, il a fallu que je me tape la messe, parce que mon nouveau conseiller en com m'a dit qu'il fallait s'y faire voir. J'ai donc réussi à m'emparer d'un siège au premier rang dans une église très en vue, et j'ai pris soin d'attirer l'attention du prêtre notamment en filant un gros billet à l'enfant de choeur pour qu'il me fasse communier en premier. J'aime bien communier, ça montre que je suis proche des gens et que je n'ai pas peur de leurs maladies. L'encens m'endort, alors j'ai un peu ronqué discrètement, d'autant que j'avais déjà entendu le sermon du curé sur le vice et je savais qu'au final, il se déclarait contre. Après je suis resté un peu sur le perron à tchatcher avec quelques huiles et à m'assurer de leur soutien. J'ai glissé quelques remarques sur l'incapacité des musulmans à sortir du Moyen-âge, ainsi que sur l'emprise des juifs sur la finance new-yorkaise, avant de faire remarquer que l'Europe était un continent adulte qui avait su mettre ses querelles de côté, et que nous étions encore jeune, mais si dieu nous prête vie, et les Chinois des dollars, alors nous serions une force avec qui compter dans le XXIe siècle. Chacun a loué ma sagesse, puis m'a frappé l'épaule avec entrain. Je suis remonté rapidos dans ma grosse berline schleue, et j'ai ordonné à mon chauffeur de m'emmener à la mosquée. L'insolent m'a rappelé que celle-ci officie plutôt le vendredi. J'ai pensé à me faire voir à la synagogue avant de me rappeler que c'était le samedi, et que de toute façon les juifs n'ont pas l'influence qu'ils peuvent avoir ailleurs. Nous sommes donc rentrés à la maison pour manger du poulet car ça reste dimanche.
L'après-midi a été consacré à un cours de conduite pour homme important au Liban. J'ai donc appris à me servir de la sirène et du gyro, à tripler les voitures dans les files d'attente, à me garer devant les bornes d'incendie et à coller les voitures en faisant des appels de phare au xénon sur l'autoroute pour qu'on me laisse passer. Tout cela est bien agréable, en même temps, vu que j'ai un chauffeur, j'ai demandé à quoi cela pouvait servir. On m'a répondu qu'on ferait des reportages sur moi, et qu'il fallait que je montre que je savais conduire et pas comme une tafiole car au Liban, quand on est un homme, un vrai, on conduit super vite des grosses bagnoles en faisant courir le maximum de risques aux autres usagers de la route. J'ai dit d'accord, et j'ai obtenu les applaudissements de mon instructeur en remontant un sens interdit à toute allure en manquant d'écraser une petite vieille qui traversait l'un des seuls passages cloutés du Liban. J'ai encore des réflexes débiles, genre chercher à mettre la ceinture de sécurité, mais je commence à avoir le truc, notamment pousser le compte-tours au maximum à l'arrêt, et fumer en conduisant pendant que je change de station de radio pour mettre le volume à fond et que la bagnole vibre sous les basses.
Ce soir, je reviens d'une fameuse soirée de soutien à ma candidature. Il y avait du beau linge, notamment un monsieur et une dame qui m'ont raconté qu'ils avaient été anoblis par la France pour services rendus, ce qui expliquait qu'ils aient rajouté un "de" à leur nom. J'ignorais que la France, qui est une république, pouvait anoblir qui que ce soit, ce qui les a fait rire : mon dieu que vous êtes provincial, ont-ils gloussé. J'ai alors compris que la Bekaa est le coeur du Liban, et le reste n'est que province. Bon à savoir. Par la suite, nous avons échangé des informations entre gens au courant. On m'a ainsi affirmé que la rencontre Aoun/Hariri n'a jamais eu lieu, et que la photo utilisée datait de plusieurs années. On m'a également dit qu'un ami des convives connaissait quelqu'un dont le cousin était bien vu par un des auxiliaires du chef de cabinet du ministre de la Justice. Ce pourrait être un précieux soutien ! Tout est affaire de relation ici, très cher, m'a susurré la dame anoblie, et elle pourrait me mettre en relation avec la coiffeuse de la femme d'un homme très important dont elle devait taire le nom par discrétion. J'ai juré de protéger son secret, et lui ai également promis d'avoir un numéro de téléphone moins "plouc", vu que sur le mien aucun chiffre ne se suit ou ne forme une combinaison cool. La soirée s'est finie, nous avons déploré la petite taille du pays, l'indiscipline de ses habitants, la perfidie des voisins et l'augmentation du prix du Beluga, avant de jurer de nous revoir, "à Palis bien sûl", m'a lancé la dame du monde. Puis je suis rentré chez moi pour picoler.