31 octobre 2007

Une autre pièce de Genet

La décision n'a pas été facile à prendre, j'y ai mûrement réfléchi mais je suis arrivé à la conclusion que je ne pouvais décemment me soustraire à mon devoir. J'ai donc décidé de me présenter à la candidature de l'élection présidentielle de consensus libanaise. J'ai, dès ce matin, procédé aux formalités administratives, à commencer par le baptême maronite, sésame religieux pour pouvoir correspondre aux critères présidentiels. La cérémonie s'est bien déroulée, merci, j'ai même pu choisir mon nouveau prénom entre Charbel, Maroun et Elie. En fait, j'ai pris les trois pour ne vexer personne. Puis, il a fallu souscrire un prêt pour pouvoir m'acheter une grosse voiture allemande que j'ai fait modifier, notamment en lui mettant une plaque d'immatriculation à trois chiffres, en retirant les clignotants et les ceintures de sécurité, et en lui incorporant des vitres fumées. Avec le reste du pognon, j'ai loué des "bodyguards" très gros, et une dame un peu refaite qui me servira d'épouse. Sa probité est impeccable, tout comme sa manucure. Je ne lui ai pas encore trouvé de nom pour le moment, mais elle va à l'église tous les jours, et chez le coiffeur tous les soirs.

Ensuite, il a m'a fallu élaborer un programme, je sais que ce n'est pas obligatoire et qu'à la limite, ça fait un peu fayot, genre le gars qui veut convaincre les électeurs, et ici, ce n'est pas la plèbe qui vote. Mon plan pour le Liban est très technique : rétablir la croissance, instaurer la paix, inciter à la quête du bonheur, maintenir la démocratie, encourager le commerce, lutter pour l'indépendance du pays, restaurer la confiance dans les institutions, endiguer la corruption, redonner au pays sa vraie place, en bref, "Faire revenir le Liban" ! J'aime bien ce slogan, on ne sait pas trop où il était parti le Liban, mais en tout cas, je vais le faire revenir. Et pas plus tard que dès que je suis élu.

Bien entendu, les gens doivent comprendre que c'est moi ou le chaos. Pas besoin de louer James Carville et sa bande de spin doctors pour marteler l'idée que si je ne suis pas élu, c'est tout le Liban qui ira à vau-l'eau. Déjà que la situation n'est pas terrible, et je suis capable de nommer les coupables (je peux le faire), si on ne m'accordait pas l'investiture suprême, ce serait bien pire ! Armageddon ! La fin des temps ! La mort du petit cheval ! Je pense qu'en jouant sur la peur et l'ignorance de ses concitoyens, on peut faire des miracles. Vous verrez donc bientôt dans les rues de Beyrouth mon portrait officiel, que j'ai voulu rassurant, ce qui explique la moustache paternelle que j'arbore, ainsi que la position de mon regard, résolument tourné vers l'avenir tandis que j'esquisse un léger sourire confiant. J'aime bien mon portrait. Je m'aime bien.

De quelle expérience puis-je me targuer ? Là, c'est plus embêtant, je n'ai jamais dirigé une milice et je ne suis pas considéré comme un criminel de guerre. De plus, je ne suis pas un fils de médecin, d'avocat ou de négociant, ce qui pourrait faire dire que je ne viens pas d'une bonne famille. Mais je suis docile, et je suis prêt à m'aligner sur le camp qui m'offrira le plus d'avantages. Le Liban est à vendre et je suis comme lui. Dites un chiffre, je suis sûr qu'on est fait pour s'entendre. Et s'il le faut, je démissionne juste après pour ne gêner personne. En vérité, je vous le dis, je suis le candidat idéal, et vous allez bientôt le savoir.

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