24 octobre 2007

Instruction/destruction

Cette semaine, en Europe, on a éteint les lumières pendant cinq minutes pour préserver l'environnement. Pour fayoter, le Liban a décidé de couper le courant pendant quatre heures à de nombreuses reprises, et, bon élève, continuera à participer à la lutte contre le réchauffement climatique en ne distribuant pas d'électricité pendant plusieurs heures CHAQUE JOUR. J'ai l'impression que j'ai déjà fait cette blague avant, donc soit j'ai une certaine constance, soit je vieillis et je radote, soit rien ne change au niveau des infrastructures libanaises. Pareil pour la vie politique. Les chefs de guerre se rencontrent pour parler de l'avenir du Liban, et voir dans quelle mesure ils vont pouvoir se partager le gâteau. C'est une bonne idée, même si elle n'est pas neuve, mais ça ne résoudra pas le principal problème du pays, à savoir la légitimité de l'Etat. Comment attendre un quelconque respect d'une autorité qui n'aura aucun moyen de désarmer une milice dont l'objectif reste, rappelons-le, la destruction du voisin et plus si affinités. Allez, répétons-le au risque de donner du poids à l'option "je radote", le Moyen-Orient n'est pas assez grand pour le hezb etIsraël, l'un des deux doit être éliminé. Que Hariri et Aoun s'embrasse sur la bouche ne changera rien à une situation qui pourrit.

Mais je commence à me poser des questions sur la capacité de mes amis libanais à percevoir la réalité du pays. Sont-ils tous devenus inaptes à la percevoir, à force de la trouver d'une brutalité inhumaine ? A preuve, cette affaire du reportage de Dominique Torrès qui continue à provoquer des remous, notamment cet article incompréhensible de "Fifi" Abou Dib dans L'Orient-le jour. Journal intéressant que ce quotidien francophone. Je me rappelle il y a dix ans qu'il publiait fréquemment des avis de recherche concernant des bonnes en fuite, avec photos comme au bon vieux temps des "Wanted" dans le Wild Wild West. Voici quelques passages de l'article de Fifi que je reproduis dans l'espoir qu'un lecteur veuille bien me les expliquer :

Qu’est-ce qu’une femme sans âge, juchée sur des talons de 12 cm, cheveux peroxydés platine, teint recuit au soleil de la plage, nez, lèvres, seins, ventre refaits aux canons Mattel. ? À part se fondre dans ce moule impossible, ce qui est déjà un travail à plein temps, Barbie n’a pas de vie dans la vie réelle. Elle ne sait ni laver une assiette ni repasser une chemise. Voilà pourquoi Barbie a besoin d’une bonne. Bonne. Adjectif ou substantif ? Voilà une métonymie bien française, toute moite de componction bourgeoise ancien régime exportée chez nous sous le mandat. Chez nous, on ne dit pas bonne. L’équivalent en arabe signifie simplement travailleuse, et fleure bon son Arlette Laguillier. Moins condescendant, donc plus valorisant. S’il n’y a aucune honte à être une travailleuse, il doit être humiliant de se faire appeler bonne, même avec un « b ». Résumons-nous. Qu’est-ce qu’une femme sans âge, juchée sur des talons, etc. jusqu’à bonne ? Une Libanaise assurément, selon les critères d’une certaine presse française.
[...]
Pour en revenir à la Libanaise, méchante par opposition à sa bonne, il y a lieu de s’interroger sur les raisons qui en font un sujet d’intérêt pour les médias français. Perçue comme une poupée gonflable, et gonflée avec ça, cette Barbie-là est une Barbarella. Esclavagiste et gâtée pourrie, elle traverse les guerres comme d’autres un safari au Kenya. Marie-Claire a fait trois pages sur sa passion pour la chirurgie esthétique. Le cas de May Chidiac, restée belle et coquette malgré son drame, soulève des passions d’entomologistes. Le sublime Caramel de Nadine Labaki désarçonne certains critiques (cf. Le Canard Enchaîné), parce que justement il n’adhère pas tout à fait au cliché Liban-pays-miné-par-la-guerre-où-les-femmes-ne-se-soucient-que-de-leur-apparence. Femmes du Liban, il nous reste à assumer l’étrange phénomène que nous sommes. Au seul pays de la région qui pratique la liberté d’expression, nous avons bon dos. Laissons dire. Un jour, on nous demandera notre recette pour garder panache et humanité quand tout s’écroule. Mais ce sont choses qui ne transmettent pas.

"Voilà une métonymie bien française, toute moite de componction bourgeoise ancien régime exportée chez nous sous le mandat." Evidemment, le retour du mal importé par les Français qui a corrompu le jardin d'Eden libanais. Notons tout de même que Fifi écrit en français dans un quotidien français. Qu'est-ce qui les pousse à utiliser la langue des anciens colons ? De plus, si je comprends bien son analyse, Le Canard enchaîné n'a pas aimé Caramel parce qu'il n'aime pas les pétasses ? Je ne saisis pas la vision du journalisme critique de l'auteuse. Et les Libanaises devraient être applaudies parce qu'elles se font faire des injections de botox sous les bombes ? Je pense que si vraiment les Libanais(es), ou plutôt certain(e)s se sentent vexé(e)s de la façon dont on les représente en France, il faudrait plutôt diffuser un clip, en particulier sur France 2, afin de rétablir la réalité. Je me propose d'en rédiger le synopsis, c'est cadeau, si, si, ça me fait plaisir :

(Montage d'images incluant Baalbeck, les Cèdres, Raoucheh, enfin le genre de truc que diffuse la MEA dans ses avions en insistant sur le côté années 70). Voix-off :
Bienvenue au Liban. Un pays où l'étranger est reçu avec hospitalité (bandeau défilant sous l'image avec une astérisque : sauf si vous êtes palestinien, juif, d'Europe de l'Est, d'un pays en difficultés économiques pires que le Liban, ou que vous provenez d'un pays occidental mais que vous n'êtes pas riche), où les lois sont respectées, où l'apparence n'a aucune importance, où l'environnement n'est pas saccagé, où l'armée est respectée, où l'Etat assoit son autorité partout où le faible a besoin de lui.

(Images du hezbollah tirant des roquettes depuis les immeubles. Essayer de trouver des images de juifs se les prenant sur la gueule). Au Liban, vous trouverez la sérénité grâce à notre résistance spécialement formée à vous assurer un séjour réussi. Son action efficace a permis d'anéantir la corruption dans les zones qu'elle contrôle. Grâce à elle, vous pourrez profiter à fond des joies du Liban sans crainte de devoir écourter votre séjour. Quant aux avions qui vous suvolent, notre efficace DCA les éliminera avant même qu'ils n'aient obscurci l'un de nos 300 jours de soleil garanti ! (Images de bimbos siliconées). Le Liban : l'Orient de vos rêves ! (Freeze sur le visage rassurant de Nasrallah en contre-plongée, et musique de Fairuz)

Cette affaire des bonnes est un révélateur. Au Liban, on va continuer à nier la réalité pour pouvoir continuer à l'ignorer. Un détail qui en dit long : l'appartement que nous occupons est neuf. Près du lit et dans la salle de bains, nous disposons d'interrupteurs qui permettent de faire retentir une puissante sonnerie dans la cuisine qui se trouve être adjacente à une petite pièce de deux mètres carrés qu'on nous a présentée comme la chambre de bonne. Ce signal sonore est censé avertir l'esclave à domicile que sa présence est requise auprès de ses maîtres dans les plus brefs délais. Et après ça, Fifi continuera à écrire :

En attendant, des femmes et des hommes affluent sur nos bords de l’autre bout du monde, fuyant une misère plus misérable que la nôtre. Ils ont signé pour le gîte, le couvert, un salaire ridicule par rapport à l’Europe, mais ils y trouvent leur compte. Ils nous viennent victimes de croyances étranges et d’un vécu épouvantable. Faut-il avoir faim et mal, faut-il ne plus rien espérer de la vie, pour faire plus de dix heures de vol alors qu’on n’a jamais vu un avion, et mettre entre parenthèses deux ou trois ans de sa jeunesse dans un pays inconnu ? Souvent, ces malheureux partent comme on se suicide et arrivent chez nous à l’extrême limite du désespoir. Si certains mettent fin à leur vie, ce n’est pas tant de la maltraitance des maîtres – elle existe, hélas, comme n’importe où, mais d’une fêlure charriée depuis l’enfance qui fait qu’à l’arrivée, à la moindre contrariété, on se disloque.
Bien sûr, ce ne sont sûrement pas des conditions de vie qu'aucun Libanais n'accepterait en France qui sont responsables des suicides des bonnes. Tout comme c'est Israël qui est responsable de tous les maux du Liban. Il existe un complot, docteur, et il veut anéantir le seul pays qui abrite une réelle coexistence entre tous les peuples, sauf bien sûr si vous êtes palestinien, juif, d'Europe de l'Est, d'un pays en difficultés économiques pires que le Liban, ou que vous provenez d'un pays occidental mais que vous n'êtes pas riche.

Encore une fois, je refuse de généraliser, mais les voix les plus fortes sont celles qui nient les problèmes du Liban, et accusent l'autre de ses malheurs. Et pourtant, reconnaître qu'on est malade est la première étape vers la guérison. C'est grave, docteur. Et une petite injection de silicone continuera à ne rien changer.

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