05 décembre 2006

Le point

Il semble qu'il me faille clarifier ma position concernant les événements du Liban : elle est pourtant simple, je refuse cette bipolarisation arbitraire que l'on nous fait subir. J'estime toutefois que le gouvernement actuel a, d'une part, toute la légitimité nécessaire pour diriger le pays puisqu'il émane des élections législatives de l'an passé et qu'il représente donc les Libanais qui ont participé au vote ; d'autre part, le gouvernement a acquis une dimension nationale durant l'été, lorsqu'il a été pris entre deux feux, le Hezbollah ayant décidé de mener sa propre politique étrangère malgré les deux ministres qui le représentait au sein des instances gouvernementales. Soutenir l'actuel gouvernement ne procède donc pas d'une démarche partisane, et n'implique en aucun cas considérer Hariri, Geagea, Gemayel and Jumblatt associated comme les héros du Liban. Seulement en ce moment, il n'y a personne d'autre, et le mouvement du 14 mars demeure démocratique et possède la ferme intention de continuer à l'être.

En face, qui prétend se dresser au nom du bon droit ? D'abord, les chiffres. On affirme ça et là que les manifestants gardant prisonniers le gouvernement représente 30% de la population. D'abord, 30%, ça n'est pas une majorité ; dans tous les pays du monde, c'est une minorité. Admettons qu'il faille compter avec cette minorité, pourquoi n'a-t-elle pas objecté aux élections dès que celles-ci ont été accomplies ? Pourquoi attendre plus d'un an pour exprimer son mécontentement ? Les ministres Hezbollah et Amal estiment-ils avoir été restreints dans leurs actions ? Sûrement pas, jusqu'à présent, c'est un ministre hezbollahi qui était en charge de l'électricité : à l'heure où je vous parle, mon immeuble fonctionne au générateur, comme chaque jour à 18h, ce qui tend à montrer qu'un ministre du parti de dieu est aussi incapable qu'un simple mortel.

Ensuite, la composition des "insurgés". On retrouve pêle-mêle l'électorat traditionnel des mouvements d'extrême-droite en Europe : les ultra-religieux, les mécontents de l'establishment, les anti-démocrates, les frustrés de tous bords. Les aounistes ont amené un fort contingent dans la manifestation, frayant avec leur ex-ennemi mortel pro-syrien. La stratégie d'Aoun aparaît la même que Staline avant la deuxième guerre mondiale lorsqu'il signe un pacte de non-agression et d'assistance mutuelle avec Hitler : gagner du temps et se préparer à une attaque le moment venu. Aoun est resté 11 ans en France ; il semble qu'il ait appris la diplomatie à la française, qui prône l'amitié avec les dictatures marocaine ou syrienne afin de les remettre dans le droit chemin. On a vu le résultat de cette idealpolitik. Aoun sera brisé le moment venu, pris entre deux feux, à moins qu'en continuant l'analogie Staline-Hitler, il comprenne son erreur et se rallie au 14 mars. On lui souhaite bon courage pour ses ambitions présidentielles.

En plus d'Aoun et du mouvement fasciste Hezbollah, on recense également quelques curieux phénomènes, comme les maradas, chrétiens pro-syriens emmenés par Sleimane Frangié, le Parti Nationaliste Social Syrien, dont le père de Hassan Nasrallah était membre, le druze Talal Arslan et son minuscule Parti Démocratique Libanais ainsi que le Parti Communiste Libanais dont je vous conseille l'analyse de la crise. Cette diatribe m'a rappelé les jours heureux de la guerre froide, quand l'URSS tempêtait contre les impérialistes, et sautait sur la moindre occasion de faire chier les USA en soutenait tout ce qui pouvait les contrarier sans trop s'inquiéter du bien-fondé des revendications. Au final, chaque parti de la contestation en reflète un dans la majorité : les anciens alliés Maradas et Forces Libanaises, Joumblatt contre Arslan, Hezbollah-Phalanges, Courant Patriotique Libre vs. Courant du futur de Hariri Jr. etc... Ce singulier jeu de miroirs conduit chacun à se positionner pour le camp le plus honnête, mais on peut douter que la Vertu ait choisi l'un ou l'autre tant les passés sont lourds.

La propagande du Hezbollah, qui tire les ficelles, est simple et rappelle celle des mouvements fascistes des années 30 : nous seuls serons capables de chasser la corruption qui pourrit la putain démocratique. Que propose le Hezbollah pour remédier aux maux de la République ? Rien, sinon ce qu'il a fait cet été, c'est-à-dire une guerre pour nourrir son Lebensraum. Aoun s'imagine très futé, et pense que l'armée le soutiendra en cas de conflit poussé. Berri s'en fout, à partir du moment où il reste au pouvoir, ce qu'implique transmettre avec fidélité les consignes de Téhéran. Tout ce beau monde recourt donc à la rue pour fomenter une révolution qui n'a rien de démocratique, même si l'expression de coup d'Etat apparaît prématurée.

Au final, que va-t-il sortir de ce bras de fer ? Des commerces qui sont condamnés à fermer en raison de l'occupation, l'Union européenne qui menace de ne pas soutenir Paris III, une population encore plus divisée qu'avant l'été alors que la guerre est censée unifier l'agressé, et des attentats et des heurts entre factions qui vont aller en s'amplifiant. Rien de bon. Quelle autre solution ? La négociation, et laisser faire Siniora, qui n'est peut-être pas Metternich, mais s'affirme de plus en plus comme le dernier recours d'un pays qui ne semble toujours pas comprendre qu'il lui reste beaucoup à perdre.

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