Faust au Liban
La politique libanaise, c'est complexe. Voilà un bien terne début de billet, mais c'est à peu près la conclusion déprimée à laquelle sont arrivés tous les gens qui m'ont demandé d'expliquer le Liban, parfois en regrettant leur initiative tant ils été abattus par le tableau du péril communautariste libanais et des ambitions hégémoniques du Hezbollah. Les médias français rapportent plutôt bien ce qui se déroule au Liban, mais les Français n'ont pas le temps d'absorber toutes les informations concernant la crise libanaise qui dure depuis des décennies, et il faut avouer que l'avenir s'annonce sombre. Pour comprendre une situation que je maîtrise de moins en moins à mesure que je l'observe, il convient, en plus de l'analyser d'un point de vue géopolitique, de considérer la politique intérieure et ses multiples rebondissements, dont la conversion de Walid Joumblatt comme chantre du combat contre la mainmise syrienne n'est qu'un épisode spectaculaire.
Le Liban est une démocratie, ou une démocrature, ou une démocratie féodale mais en tout cas il existe un jeu politique complexe qui pousse les Libanais à former des alliances et des vassalités en permanence. Je m'étonnais ainsi de l'omniprésence de Georges Corm dans les médias français, et de son parti-pris résolument en faveur de la "résistance" libanaise. Une fois de plus, il s'agit de politique intérieure, puisque l'ex-ministre Corm a été reçu par Michel Aoun, qu'un renversement du gouvenrment ne dérangerait nullement, et sa visite n'avait rien de protocolaire au vu de ses déclarations rapportées par l'Orient le jour :
« Le général a rendu un grand service au pays en empêchant la zizanie et les clivages entre Libanais pour faire face à l’agression israélienne », a-t-il dit.M. Corm a, en outre, affirmé avoir évoqué avec le chef du CPL les questions économiques, soulignant l’importance d’accélérer le processus de reconstruction en s’assurant de la transparence des opérations. Il a espéré que la reconstruction « puisse permettre une réorientation de l’économie vers des secteurs productifs ».
Au-delà de l'aspect comique du "grand service au pays" qu'aurait rendu Tsunamichel, Georges Corm semble donc viser un nouveau maroquin, de préférence, celui de l'économie. Il n'est pas le seul à déclarer pouvoir s'accommoder du Hezbollah. Les hommes politiques libanais sont comme la plupart de leurs homologues occidentaux : ils cherchent avant tout le pouvoir et ne se préoccupent guère de l'avenir de leur pays tant que leur postérité financière et la satisfaction gloutonne de leur égo deviennent acquises. Sauf que.
En occident, on peut se permettre dans une certaine limite ce genre de calcul égoïste. Les pays sont stables politiquement, l'économie est forte, et l'idée de nation prévaut généralement même s'il existe de grandes disparités idéologiques. En France, l'alliance socialistes-communistes de 1981 n'a pas mené le pays à devenir une dictature satellite de Moscou. Au Liban, les enjeux sont infiniment plus graves, et les petites trahisons des uns et des autres pourront prendre des proportions catastrophiques à l'avenir. Le pays ayant toujours vécu dans le provisoire qui dure, même le conflit de juillet 2006 n'a pas entaché l'idée qu'il faut vivre au jour le jour et que le Liban s'en sortira comme d'habitude. Mais le Hezbollah n'est pas un parti comme les autres. Etablir une alliance avec le parti de dieu, le CPL d'Aoun et éventuellement les Maradas conduirait rapidement à une prise du pouvoir de Nasrallah qui dirige une formation idéologique dont les visées sont très claires, et très morbides. Lorsqu'on prétend gouverner au nom de dieu, on ne le fait pas pour les hommes, mais pour une petite caste d'oligarques qui lancera sa croisade, ou son jihad, contre les petits et grands satans qu'il aura choisi. Certains partisans du relativisme semblent considérer que Bush fait la même chose, ce qui est ridicule. Qu'on aime Bush ou pas, il a été élu démocratiquement et doit faire face à nombre de contre-pouvoirs qui l'empêche de faire ce qu'il veut, ou ce que ses amis souhaitent. Dans le cas de partis théologiques, où un homme prétend directement parler avec dieu, on ne peut pas exprimer son désaccord, parce qu'on est un impie, et donc un ennemi. Le Hezbollah ne doit pas être sous-estimé, mais ses alliés comme le CPL voit plus en lui un allié qui leur permettra de reprendre le pouvoir qu'un danger qui pourrait détruire le Liban que nous connaissons. Avec ses défauts, mais aussi son potentiel formidable.
Paris, paraît-il, valait bien une messe. Une âme vaut-elle un maroquin ? Un pays peut-il se trahir cyniquement comme l'ont fait des générations d'hommes politiques ? Le danger est présent, plus que jamais, alors que le Liban se retire petit à petit des actualités internationales. Et que dans la pénombre, les guerriers de chaque camp se prépare pour le prochain round.
N'oublions pas le Liban pour ne pas que le Liban s'oublie.