22 juillet 2006

Justice et injustices

Comme prévu, la routine s'installe et ce sera une guerre de tranchées, toujours plus longue que ce que les généraux prévoient. Je commence à accueillir quelques"réfugiés" qui n'ont pas de pied-à-terre à Paris et la plupart ne pensent pas pouvoir revenir à Beyrouth de sitôt. Au Liban, plusieurs amis français pestent contre les double-passeports qui ont été évacués avant eux, alors qu'on les laisse en plan quand leur seule nationalité est la française. Mais comment l'ambassade de France pourrait-elle mettre une priorité pour ceux qui n'ont que le passeport français sans encourir les foudres de la rumeur, déjà présente sur les méthodes d'évacuation ? Le piston, cette belle mécanique libanaise, fonctionne donc à plein même en ces temps de crise, et mieux vaut connaître du monde et avoir plusieurs nationalités qu'être simple français. Les chiffres qu'on nous donne en milliers sur l'évacuation concerne en immense majorité des Libanais ayant reçu une nationalité supplémentaire pendant la guerre de 1975-1990. Les Libanais qui ne possèdent qu'un seul passeport sont condamnés à rester, quoi qu'il arrive. Ma meilleure amie m'a avoué que le seul moyen pour elle de dormir à Beyrouth avec les bombardements et le stress restait de se soûler, elle qui ne boit quasiment jamais et toujours avec modération.

Il existerait pourtant un droit de la guerre, ce que je découvre en lisant un article du Monde consacré à Louise Arbour, Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, qui lance un appel aux parties du conflit au Liban. Cela paraît assez surréaliste, mais il y aurait certaines règles à respecter dans un guerre, notamment "le principe de proportionnalité", Mme Arbour précisant que "le droit de la guerre autorise des destructions d'objets de nature civile, tels des ponts, mais à la condition que ceux-ci revêtent une dimension militaire indiscutable, et que cela n'affecte pas des besoins importants de la population. Ce qui n'est pas le cas, ajoute-t-elle, "dans le cas de destructions de centrales électriques, par exemple"."

Donc, à l'avenir, on pourrait estimer que des généraux ont commis des actes illégaux en bombardant tel pont, mais que pour tel autre, faisant partie de ceux qui "revêtent une dimension militaire indiscutable", ce sera OK. Il y aura même une espèce de permis à points pour les généraux, et quand ils n'auront plus d'unités sur leur laissez-tuer, ils devront passer un examen pour avoir le droit de refaire la guerre.

Pendant ce temps, le Hezbollah plastronne et continue sa propagande, notamment avec Al Manar. Il apparaît certain que si la guerre s'enlise, le Hezbollah sera le grand vainqueur même s'il a provoqué les hostilités. Dans un conflit médiatique, celui qui remporte l'opinion publique n'est pas celui qui a raison, mais celui qui apparaît comme la victime. Rappelons-nous le conflit des Balkans, où les Serbes sont apparus comme des bourreaux (ils n'étaient pas des anges) alors que pour les Croates, le mot "Oustachi" ne revenait jamais en mémoire ou dans la bouche des journalistes...

Heureusement, le Hezbollah n'abuse pas tout le monde, et je suis un peu étonné mais aussi très content de l'édito de Philippe Val, dans Charlie Hebdo cette semaine. Je vous livre une partie de sa réflexion consacrée à la guerre du Liban :

Le leader chiite Nasrallah est un héros au sourire si doux. Il vient juste de foutre le feu à la région, mais évidemment c'est la faute d'Israël. Israël n'est jamais agressé. Israël n'est jamais en danger. Israël a toujours tort. La cruauté ontologique de l'Israélien, au fond, est rassurante. Elle permet de mesurer à quel point on est du côté du bien, de la générosité, de l'irréprochable .Vous voulez qu'on vous trouve sympa et militant d'une gauche couillue et courageuse, portez un tee-shirt du Hamas à Paris-Plage.

Etonnant, venant d'un journal qui s'est toujours proclamé à gauche, la vraie gauche. Mais en même temps, Charlie Hebdo est l'un des rares journaux français à ne pas vivre de la pub, et à posséder des avis divergents dans ses colonnes entre rédacteurs. Siné évidemment vomit les Israéliens, mais Philippe Val, en plus de posséder une bonne plume, arrive à voir la situation autrement que par le prisme du "faible qui a toujours raison contre le fort". Je ne résiste pas à recopier la fin de l'édito :

Que l'on critique les décisions du gouvernement israélien, qu'on juge les ripostes excessives ou non, c'est une chose. Et qu'on se donne au moins la peine de rappeler que le camp adverse - en l'occurence le Hezbollah et sa jonction avec le Hamas - a aussi quelques responsabilités dans l'histoire. Pour les ambitions du Hezbollah - à savoir, fédérer pour le compte de l'Iran une grande force panislamiste - une paix entre Israéliens et Palestiniens serait une catastrophe. Ils font donc tout pour qu'une guerre fédératrice éclate, pendant laquelle l'Iran se hâtera d'achever son projet nucléaire Qu'on parle de la réalité, au lieu d'en taire sans cesse la moitié. A moins d'annoncer la couleur et d'avouer qu'on travaille dans un organe de propagande. Ce qui n'est pas le cas de Charlie.

La fin est un peu démago, je ne sais pas qui il vise quand il parle d'organe de propagande en se drapant dans la dignité de Chralie, mais je suis content qu'en France, on reconnaisse pour beaucoup de médias la responsabilité du Hezbollah. Mais les barbus vous diront que c'est à cause du lobby juif...

Alors même si la lutte sera longue, n'oubliez pas le Liban.
S'il vous plaît.

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