19 juillet 2006

Tous responsables

Imaginez qu’on vous annonce que vous avez un cancer du poumon, et que vous n’en avez plus que pour quelques mois à vivre. Vers qui allez-vous vous tourner ? Qui est responsable ? Qui doit payer pour votre malheur ? Le médecin qui vous annonce la maladie ? Le chirurgien qui s’avoue impuissant devant l’avancée du cancer ? Les fabricants de cigarettes que vous avez fumées pendant des années ? Les publicitaires qui vous les font désirer ? Ou bien vous, parce que au final, vous auriez pu agir différemment ?

Tout le monde peut assumer une certaine part de responsabilité au final. Dans la vie, c’est comme ça : il n’y a jamais un seul coupable et c’est un travail complexe de justice que de définir les responsabilités.

Aujourd’hui, le Liban est attaqué par l’armée israélienne parce que celle-ci estime que le Hezbollah représente un danger mortel qui ne peut pas continuer à menacer l’intégrité du pays. Il faut trouver un coupable pour chaque camp, et chacun doit haïr l’autre en lui rejetant la faute. Mais les choses ne sont pas si simples, car au Moyen-Orient, nous sommes tous responsables de ce qui se produit en ce moment, qui n’est pas la destruction systématique du Liban comme certains veulent le faire craindre, mais qui va laisser un pays déjà meurtri dans une situation dont il risque de ne pas se relever. Et ce, pour la plus grande joie de ses vrais ennemis, la Syrie et l’Iran, bien sûr, mais aussi bien d’autres qui n’ont jamais aimé l’idée d’un Liban aussi prospère et libre.
  • Les Etats-Unis sont responsables, car dans le but de sécuriser leur approvisionnement en hydrocarbures, ils ont porté le fer dans des pays qui n’avaient pas suffisamment de culture démocratique pour profiter d’un changement de dirigeant. Peut-être parce qu’ils sont le fruit de révolutions, les Américains comme les Français, n’ont pas encore intégré le fait qu’on ne pouvait pas exporter la liberté par la force. Et ils sont responsables, en dernier point, parce qu’ils sont les seuls à avoir les moyens de mettre fin au conflit et qu’ils ne le font pas.
  • La France est responsable, car elle a trop longtemps tergiversé sur le Liban : Chirac à l’enterrement de Hafez el Assad, seul chef d’Etat majeur à assister aux obsèques d’un dictateur infâme, quel symbole pour le Liban ! Soi-disant mère du Liban, elle a toujours considéré son ancien mandat comme une alternative à Israël pour sa politique arabe, et n’a pas su l’aider dans les moments difficiles, bien qu’en tandem avec les USA, elle a poussé la Syrie à se retirer. La France, comme les Etats-Unis n’ont pas su continuer un bon travail de diplomatie conduisant à la souveraineté libanaise.
  • La Grande-Bretagne est responsable, car elle s’est débrouillée pour laisser des bombes à retardement dans tous les pays qu’elle a colonisé. Son comportement en Palestine, promettant un territoire aux juifs tout en essayant de ne pas ménager les Arabes a conduit à créer des camps de concentration à Chypre et une apparence de non-légitimité pour Israël qui a conforté les pays arabes dans leur désir d’exterminer la nation naissante.
  • La Syrie est responsable car, depuis des décennies, elle entretient les rivalités dans la région pour mieux assumer son rôle d’intermédiaire obligatoire. « Pas de guerre sans l’Egypte, pas de paix sans la Syrie », dit le proverbe diplomatique. La Syrie n’a jamais accepté la paix, à la manière d’une Angleterre du XIXe siècle, elle s’est débrouillée pour contrôler les alliances et affaiblir ses éventuels rivaux. Surtout, la Syrie n’a jamais accepté l’existence d’un Liban indépendant, et bien portant. Elle l’a saigné pendant trente ans, et aurait promis à Hariri de détruire le Liban si elle était amenée à retirer ses troupes de son petit voisin, tout en prétendant être seule garante de la stabilité régionale.
  • Les pays arabes sont responsables d’exporter leurs problèmes vers le Liban, de l’avoir encouragé à agresser Israël en 1948 alors qu’il possédait l’une des positions les plus fragiles des cinq pays alliés et de prétendre entretenir des rapports de fraternité entre eux tout en s’attaquant mutuellement dans le seul but de préserver leurs tyrans.
    L’Iran est responsable pour avoir établi un régime mortifère sur son territoire, et pour tenter maintenant de l’exporter au Liban en finançant, conseillant et soutenant diplomatiquement son extension extrémiste, le Hezbollah.
  • Israël est responsable pour n’avoir pas dialogué avec le régime libanais et tenté de soutenir un gouvernement dont la volonté de désarmer les milices a été constante mais dont les capacités n’ont jamais été à la mesure de la tâche.
  • L’ONU est responsable de ne pas avoir envoyé une véritable force d’interposition pour aider Israël à affirmer son existence face à ses voisins. L’ONU aurait également du procéder à une réforme de son fonctionnement, pour arrêter cette règle inepte du véto, et mieux tenir compte des nouveaux rapports de force dans le monde d’aujourd’hui, où les cinq vainqueurs de la Seconde guerre mondiale n’occupe plus la même position qu’il y a soixante ans.
  • Le Liban enfin est responsable d’avoir laissé planer l’idée qu’il puisse y avoir deux forces armées coexistant dans le même pays. Même si désarmer Hezbollah représente une tâche difficile et périlleuse, le Liban aurait du demander de ses dirigeants le courage de résoudre le problème Hezbollah qui lui, est irresponsable.

Je pourrais ajouter la Chine et ses ambitions de puissance dans la région, la Russie et son double langage (détruire les terroristes tchéchènes mais tolérer les autres), les Palestiniens qui ont choisi le parti le plus suicidaire qui soit…

Mais je conclus, nous sommes tous responsables, pas la peine de se rejeter la faute, l’important maintenant c’est d’arrêter le conflit, et trouver des solutions de coexistence. Tous les morts ont la même importance, qu’ils soient israéliens, libanais ou indonésiens. La différence avec le tsunami en Indonésie, c’est qu’on peut faire quelque chose pour éviter les victimes qui vont s’accumuler. Je pense que cela réclame également de repenser les rapports entre les pays riches dominants et les pays pauvres de plus en plus dominés, car un jour, toute cette violence ne sera plus confinée au Moyen-Orient. Le 11 septembre 2001 n’était qu’un modeste prélude de ce qui pourrait se passer si on continue de détourner le regard sur les affres du Moyen-Orient, ou trouver des solutions à court terme, comme envoyer Villepin montrer son brushing à des gens qui ne votent pas pour lui.


C’est notre intérêt, surtout à nous, ressortissants des pays riches, de réagir pour changer quelque chose. Je suis dans le train au moment où j’écris, et chacun mène sa vie paisible, lisant, bavardant, dormant tranquillement. J’ai envie que ça continue. Et le seul moyen c’est de renouer avec la solidarité entre les peuples, la vraie, pas l’aumône ou ce qui risque de se produire dans les jours qui viennent : l’attention de l’opinion publique qui sera détournée vers quelque chose de plus neuf, de plus sanglant peut-être, de plus intéressant sûrement, et le Liban retournera à ses problèmes. Qui ne manqueront pas un jour de venir frapper à notre porte, sauf que là, on ne pourra plus détourner le regard.

N’oubliez pas le Liban.


S’il vous plaît.

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