10 août 2006

Les experts : Hezbollah

J'avais l'intention de reprendre le chat de Walid Charara dans le quotidien "Le Monde" hier et de reprendre point par point ses allégations. Devant le parti-pris ouvertement idéologique de Cherara, je reprends juste quelques affirmations par trop tendancieuses.

D'abord, Walid Charara se présente le plus souvent comme un politologue ou "chercheur en relations internationales" comme le dit sa notice sur Amazon. Or, pour pouvoir se targuer d'une telle qualité, on doit faire partie d'un laboratoire de recherches type CNRS ou enseigner dans les sciences politiques pour une université. Visiblement, ce n'est pas le cas de Walid Charara qui a juste écrit un livre "Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste" avec le correspondant de RFI à Beyrouth, Frédéric Domont. Je dois être honnête et souligner que je n'ai pas lu l'ouvrage en question. Quelle légitimité possède donc Walid Charara ? D'expérience, personne ne peut évoquer le Hezbollah sans faire l'objet d'un contrôle intensif de la part du parti de dieu. On peut penser que Walid Charara entretient d'assez bonnes relations avec le Hezb et qu'il entend les garder.

Sur le "tchat" lui-même. Cherara affirme, selon l'habituelle litanie, que le Hezbollah n'est pas terroriste, que c'est l'Etat d'Israël qui se conforme à la défintion du terrorisme, qui est de "s'attaquer à des civils afin d'atteindre des objectifs politiques". La définition n'est pas complète, car présentée ainsi, les répressions policières sont du terrorisme. Le terrorisme, selon la plupart des définitions, s'appliquent à des organisations qui ne représentent pas un Etat, mais en constituent un sous-groupe. Cherara élude la question, puis y revient pour poser, toujours concernant Israël :

Ce terrorisme d'Etat, qui s'attaque aux civils avec une ampleur sans précédent, ne peut être comparé à certaines actions menées par des mouvements de libération qui peuvent avoir un recours exceptionnel au terrorisme. Dans un cas, nous avons des politiques dont l'essence même est le terrorisme ; dans l'autre, il y a un recours quasi exceptionnel au terrorisme.

Il reconnaît donc que le Hezbollah pratique le terrorisme, sans considérer qu'il s'agit d'un groupe terroriste. La nuance est de taille. Maintenant que le Hezbollah a déclaré la guerre à Israël, l'organisation terroriste a de toute façon révélée une autre dimension, celle de guérilla, mini-armée dont l'arsenal provient en grande partie des aides de l'Iran et dans une moindre mesure de la Syrie.

Sur la structure du Hezbollah, W.C. affirme que " C'est un parti qui fonctionne sur le principe du centralisme démocratique, la direction est élue et les décisions sont prises collectivement."
Ce que Cherara ne nous dit pas, c'est que le chef du Hezbollah, celui qui parle en son nom et au nom de dieu, puisque c'est bien la traduction de l'arabe, n'est pas élu mais nommé. Par qui ? La réponse évidente reste l'Iran, par le biais du chef suprême Ayatollah Ali Hoseini-Khamenei. Pas une fois le mot de "parti théocratique" ne vient dans les réponses de Cherara, alors même que l'on parle d'un organisme qui représente dieu sur terre, ou tout du moins l'une de ses versions. Il ne peut y avoir coexistence entre la voix divine et le principe démocratique pour le fonctionnement d'un parti. C'est en quoi le Hezbollah diffère profondément d'autres organisations terroristes de libération comme l'OLP ou les IRA. Pour la structure complète, voir ici.

Sur les moyens militaires dont dispose le Hezbollah, Cherara parle de "mouvement de guérilla", ce qui est exact dans le type de guerre, mais pas dans l'arsenal. Le "politologue" accorde "les armes légères principalement" ainsi que des "roquettes de différents calibres", ce qui reste merveilleusement vague. Il ajoute par précaution "Hezbollah a développé son potentiel en roquettes pour pouvoir remédier à la suprématie israélienne en matière aérienne". Les roquettes qui bombardent le Nord d'Israël sont évidemment sol-sol, et non pas sol-air, son argument ne tient pas. De plus, Cherara ne fait pas mention des drones, qui ne sont pas des armes en soi, mais font partie de l'arsenal, ni des mines au sol que Hezbollah a disposé, tout comme Israël, au Liban Sud. Une question d'un "tchateur" survient alors : "Comment expliquer la résistance du Hezbollah contre l'armée israélienne qui a mobilisé marine, armée de terre et de l'air ? Est-ce que des RPG 29 et des roquettes peuvent vraiment repousser une armée régulière de 18 000 hommes ?" Pas de réponse, ou plutôt une réponse pas exactement satisfaisante quand on pense qu'Israël serait une des dix meilleures armées du monde, et qu'elle possède une technologie qu'elle revend aux armées occidentales. :

Walid Charara : D'abord, le Hezbollah est un mouvement qui a un enracinement populaire sans précédent dans l'histoire politique libanaise et du Moyen-Orient. C'est peut-être le parti qui jouit de la popularité et d'une organisation des plus puissantes dans l'histoire politique de la région. Deuxième élément : le bras armé du Hezbollah a une longue expérience militaire de plus de 24 ans, et connaît très bien la logique de l'armée israélienne, la doctrine militaire israélienne, les tactiques militaires et les modes d'action israéliens. Les généraux israéliens, dans le passé et durant cette dernière épreuve, ont reconnu cela, ces qualités militaires. L'un d'entre eux aurait même dit : "j'aurais souhaité pouvoir diriger un groupe d'hommes de cette trempe."

Donc, le Hezbollah doit sa capacité de résistance exclusivement à la valeur de ses hommes. En oubliant que le parti de dieu a pris soin de construire des réseaux souterrains qui permettent, notamment aux observateurs de l'ONU, de les protéger des bombardements qui meurtrissent la population civile. De plus, le Hezb est soutenu par l'Iran et la Syrie, mais ça, Cherara ne veut pas en entendre parler, évoquant un argument avancé par la propagande israélienne. "Les Etats-Unis soutiennent inconditionnellement Israël, le Hezbollah est prêt à prendre le soutien là où il le trouve pour libérer la terre libanaise de l'occupation israélienne et défendre le Liban face aux velléités d'agression israéliennes.". Donc, oui, Cherara consent qu'il existe un soutien, mais ne précise pas encore d'où vient le soutien. A la question suivante, sur le financement du Hezbollah, Cherara ne mentionne pas les nombreux trafics, courants chez les "groupes terroristes de libération nationale", leur permettant de s'assurer des rentrées financières, comme les cigarettes, les CD et DVD pirates, la drogue, et autres illégalités tolérées par l'Etat libanais. En revanche, il martèle que "le Parti de Dieu est un parti libanais, créé par des Libanais pour résister à l'occupation de leur pays. L'Iran a apporté un soutien au combat de ces Libanais. Si d'autres pays étaient disposés à soutenir leur combat, ils auraient accepté ce soutien avec joie. Mais leur combat vise à libérer le Liban sud, et c'est ce qu'ils ont fait."

Donc, le Liban Sud a été libéré. Qu'est ce qui pousse Hezbollah à exister alors ? Rappelons que l'objectif de Hezbollah ne s'arrête pas à libérer le Liban Sud, mais continue jusqu'à la destruction d'Israël et l'instauration d'une république islamiste de type iranien au Liban. Ce dont Hezbollah ne s'est jamais caché, mais que Cherara, en conversation professionnelle, ne mentionnera pas. Passons sur le désarmement du Hezbollah, que Cherara conditionne à l'octroi d'un armement sophistiqué à l'armée libanaise par les puissances occidentales, qui tient de la schizophrénie. Une question intéressante concerne le plateau du Golan, occupé par Israël, mais qui reste calme alors que la frontière libano-israélienne a toujours été un front militaire.

Olivieer : Pourquoi le Hezbollah ne bombarde-t-il pas le plateau du Golan ?
Walid Charara : D'abord, le plateau du Golan a déjà été bombardé. Toutefois, comme vous le savez, c'est une zone occupée, où il y a des populations arabes. Le Hezbollah bombarde d'abord et avant tout les positions militaires israéliennes sur le territoire israélien.


Ce qui ressemble fort à du racisme. En oubliant peut-être qu'il y a des populations arabes en Israël (20% de la population) et qu'une majorité d'Israéliens juifs est arabe, séfarade ou nés en Palestine/Israël. Cherara concède, en parlant pour le Hezbollah, qu'Israël n'est pas une zone occupée, ce qui est déjà un point positif.

Enfin, sur les conséquences de la guerre au Liban, une question provient de "Tabarja", qui est le nom d'une localité non loin de Beyrouth : "Une fois les combats terminés, les autres partis libanais vont-ils demander des "comptes" au Hezbollah ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les relations entre les communautés libanaises ?"

Walid Charara : Je pense que les comptes que les Libanais vont demander collectivement seront d'abord adressés à Israël, aux Etats-Unis et à la coalition occidentale qu'ils dirigent ; car le terrorisme d'Etat israélien et les crimes de guerre israéliens contre le peuple libanais n'auraient pas été possibles sans le soutien accordé par cette coalition occidentale à Israël. Israël a littéralement dévasté le Liban. Et je pense que cette guerre aura des conséquences très graves dans l'avenir pour l'Etat d'Israël. Les Libanais de différentes communautés pensent aujourd'hui à une seule chose : la résistance sur le court terme, et sur un plus long terme, la vengeance.

Exact sur la vengeance, mais contre qui ? On voit que Cherara parle, non pas en tant qu'expert sur le Hezbollah, mais en tant qu'expert du Hezbollah. Je ne lance pas d'accusations, car on sait assez peu sur notre homme, mais son manque d'objectivité est flagrant. De plus, les populations libanaises dans leur ensemble ne partagent pas ce besoin de se rassembler derrière le Hezbollah pour faire front : elles subissent les bombardements interminables en se sentant prises au piège entre deux feux, celui du parti de dieu qui sait manier la carotte et le bâton, et celui d'Israël.

Il existe un danger de sous-estimer le Hezbollah (ce que j'ai fait longtemps) ou de le diaboliser (ce que j'ai également fait). Le Hezbollah est puissant, il le montre en maîtrisant sa communication et en tenant tête à une armée surpuissante. Il incarne également une valeur importante dans le monde arabe : la fierté, et représente pour beaucoup de Libanais l'illusion de la puissance arabe. Mais la véritable richesse du Liban ne provient pas du Hezb, parti à caractère fasciste puisqu'ouvertement raciste et nationaliste. La véritable richesse du Liban vient de ses hommes, dont le niveau d'éducation demeure le meilleur du monde arabe et qui ont su réussir partout, sauf au Liban. Et je repose la question : fallait-il cette guerre atroce, qui s'enlise, pour disposer de la question du Hezbollah ? Ne pouvait-on pas arriver à un accord politique comme en Irlande du Nord ? La différence réside dans la dimension irrationnelle du Hezbollah, qui adopte la notion de martyrs et prétend agir au nom d'intérêts divins, alors que le Sinn Fein et l'IRA sont des organisations laïques. Et on en revient à la religion, principale cause ou excuse de conflit, couplée à la notion de territoire. Les chiens pissent pour marquer leur zone, les hommes s'envoient des bombes sur la gueule.

Tous responsables, je vous dis.
N'oublions pas le Liban.

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