28 juillet 2006

Victoire impossible

Reprenons les choses pour être clair et ne pas trop prêter le flanc à la critique : la guerre qui se déroule en ce moment est atroce et affecte principalement les civils libanais. Il y a une raison à cela. L'Etat israélien protège ses citoyens, quand l'Etat libanais ne fait rien pour les siens. On connaît les raisons qui ont conduit à un Etat faible, notamment le système communautaire, une catastrophe sociale présentée comme une réussite religieuse. Mais il est peut-être bon de rappeler que les Libanais eux-mêmes ne veulent pas d'un Etat fort, entre autres parce que cela implique de payer des impôts. Je crois que chaque année, je versais environ 5% de mon salaire à l'Etat, ce qui ferait sourire en France. Je dis environ parce que les taxes sont prélevées à la source, sinon elles ne pourraient jamais être prélevées.

Ces 5% de paraissaient trop, et comme beaucoup de Libanais, je me demandais à quoi mon argent allait servir : ni pour les routes, ni pour EDL (électricité du Liban), ni pour l'eau, ni pour l'éducation, ni pour les hôpitaux... Peut-être pour l'armée car malgré son inefficacité elle demeure l'une des plus chères du monde, ou pour financer le train de vie des parlementaires et ministres. Au Liban, pour bien vivre, il vaut mieux être dans la finance, dans l'armée ou dans la politique. Pour le reste, c'est difficile de s'en tirer, et la plupart de mes amis cumulent deux emplois pour s'en tirer.

Donc, ce qui arrive résulte aussi d'une absence de vouloir vivre ensemble au Liban, car quand on décide de vivre ensemble, on le fait selon des bases qui sont les mêmes pour tous, et qui permettent la force via l'union. On peut faire cela au-delà des religions : tous les chrétiens ne pensent pas que Benoît XVI est un grand homme, tous les musulmans ne considèrent pas que c'est un honneur de mourir contre Israël. Et tous les druzes ne suivent pas aveuglément Walid Joumblatt.

Le Liban avait peut-être cru pouvoir élaborer son unification en la basant sur une opposition commune à Israël. Grave erreur, car l'histoire fourmille d'exemples où un pays tente de s'unir contre une menace extérieure et ne fait que fortifier cette menace qui le détruit en retour.

Aujourd'hui, des civils des deux pays meurent sous les bombes. Quand les armes se tairont, puisqu'elles se tairont, quel sera l'avenir de la région ? Pour Israël, ce sera une autre victoire militaire, importante pour la population, mais qui semble ne pas impressionner ses voisins arabes puisqu'ils continuent à croire qu'un jour ils pourront abattre l'Etat hébreu par la force. Pour le Liban, que se passera-t-il, puisque chacun sait que la grande guerre de 1975-1990 n'a rien changé au Liban ? L'âge d'or libanais dont on parle a pu se dérouler parce que l'économie allait bien. Le jour où les finances baissent, les conflits éclatent. Et rien ne laisse penser que le Liban puisse devenir un acteur majeur de l'économie par la suite, malgré sa population la mieux éduquée du monde arabe et ses banques insensibles aux bombes. Tant que le système libanais ne change pas, le pays ne décollera pas. Et conclure des accords de bon voisinage avec la Syrie (comme un échange d'ambassadeurs) et Israël, ce qui semble irréaliste aujourd'hui, est pourtant indispensable pour l'avenir. Car on ne peut pas remorquer le Liban en Europe, ni changer ses voisins.

Je suis donc pessimiste. La victoire de l'armée israélienne (notez que je ne dis jamais "Tsahal" comme les journalistes à la mode) est inéluctable. Mais sur qui ? Et le Liban va-t-il se métamorphoser en belle démocratie après avoir été une moche démocrature ? Cela impliquerait déjà qu'on arrête de considérer comme des martyrs les victimes de la guerre, et qu'on arrête de penser que la prière est une solution aux conflits des hommes.

N'oublions pas le Liban. Et pensons le Liban d'après plutôt que de penser au Liban tel qu'il était.

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