08 juin 2006

In the Ghetto

La très Beyrouth-sur-Seine journaliste Mouna Naïm propose un reportage sur les ghettos palestiniens du Liban dans "Le Monde", qui n'ont rien à envier aux ghettos juifs d'autrefois. On y apprend nombre de choses intéressantes, notamment le cosmopolitisme des camps palestiniens :

D'après les estimations de l'UNRWA, entre 12 000 et 13 000 personnes - dont un tiers de miséreux non palestiniens, Egyptiens, Soudanais, Syriens, Kurdes - habitent actuellement dans le camp de Chatila.

La solidarité interarabe, dont certains leaders libanais ne cessent de se justifier, n'est visiblement pas appliquée dans les camps qui restent dans un état d'éternel provisoire :

En 1949, après la création d'Israël, l'Etat libanais a fait don aux réfugiés de terrains sur lesquels ont été dressés douze camps de réfugiés répartis entre Beyrouth, le nord, le sud et l'est du pays. Officiellement, la construction y est interdite, mais l'interdiction n'est pas appliquée. [...] Alors qu'elle l'a obtenue pour d'autres camps palestiniens du pays du Cèdre, l'UNRWA, qui assure dans la mesure de ses maigres possibilités les services sociaux et d'infrastructure, n'a jamais eu l'autorisation des autorités libanaises pour faire les travaux de réfection nécessaires dans les cinq camps de la périphérie de Beyrouth. Le Liban n'a fourni aucune explication à son attitude et l'UNRWA, étant une agence apolitique, ne pouvait protester.

Tout est fait pour que les Palestiniens demeurent dans l'inconfort, afin de les pousser à réclamer leur Etat propre. Ainsi, ce que j'ignorais, de nombreux métiers au Liban sont interdits aux Palestiniens :

La médecine est l'un des 72 métiers interdits aux "frères" palestiniens au pays du Cèdre - sauf à travailler au noir, avec tous les risques que cela suppose. [...] Dans le cadre d'une soudaine empathie pour les réfugiés palestiniens, le ministre du travail, Trad Hamadé, a publié en juin 2005 un mémorandum limitant le nombre d'emplois interdits à une vingtaine - pratiquement toutes les professions libérales.

Plusieurs raisons à cette situation catastrophique. D'abord, la raison officielle, qui consiste à refuser que les Palestiniens s'installent ailleurs que "chez eux", en Palestine, en arguant du "droit au retour". Ensuite, si les 400000 Palestiniens étaient naturalisés au Liban, le déséquilibre confessionnel qui s'ensuivrait perturberait grandement les relations entre les communautés dans un système où un individu sera conditionné toute sa vie par son appartenance religieuse. Enfin, on peut prendre en compte le ressentiment d'une population libanaise qui a combattu les milices palestiniennes et derrière le discours politique de solidarité se méfie de ces camps de non-droit où les armes pullulent sans aucun contrôle. Les camps palestiniens, les ghettos comme les appelle très justement Mouna Naïm, restent des zones de non-droit où chacun attend... on ne sait plus quoi. Beaucoup de Palestiniens préféreraient d'ailleurs rester au Liban plutôt que de rentrer dans un pays avec lequel ils n'ont de liens que par le souvenir et où la situation est souvent pire que dans les camps. Pour d'autres, nés au Liban, la lutte pour la Palestine devient chaque jour moins importante devant les impératifs de la survie. Et pour beaucoup de Libanais, les camps de la honte sont un sujet que l'on n'aime pas évoquer, une anomalie que l'on s'efforce d'oublier, même si la poudrière que les ghettos palestiniens constituent pourraient d'un jour à l'autre se rappeler au bon souvenir du Moyen-Orient. Une fois de plus le petit Liban est dépassé par ses problèmes. Quand je pense que certains en Occident appellent encore aujourd'hui la guerre du Liban de 1975 à 1990 une "guerre civile", j'en reste sans voix. Cette guerre n'avait rien de civil, et vu la situation actuelle, on peut douter également qu'elle se soit achevée sur une quelconque solution libanaise.

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