24 octobre 2004

J'ai deux amours...

Le Salon du livre en français vient d'ouvrir. Chers lecteurs, je tiendrai la promesse que je fais chaque année de ne pas y foutre les pieds pour ne pas pleurer devant la gabegie de nos impôts. J'aimerais toutefois évoquer un phénomène libanais qui a rapport avec ce salon et une conversation avec une jeune libanaise, la "transnationalité" (le titre du concept peut changer, et je vous encourage à m'envoyer des suggestions).

Les Libanais aisés ne se disent que rarement Libanais, en particulier les Chrétiens. Beaucoup se qualifient de Phéniciens, ces nobles ancêtres qui ont inventé l'alphabet, et ce afin de ne pas être confondus avec les Arabes inférieurs. Mais certains, possédant un autre passeport fréquemment acquis durant la guerre du Liban de 1975, préfèrent donner cette nationalité lorsqu'on les questionne sur leurs origines. Ainsi, ils se diront français plutôt que libanais, alors même qu'ils n'ont passé qu'une minorité de leur existence hors du Liban. Pourquoi ce rejet des origines, et cette incapacité, heureusement pas partagée par tous, d'accepter sa libanité ?

Amis lecteurs, bien sûr, je n'ai pas toutes les réponses, mais quelques pistes. D'abord, les Libanais ont de la difficulté à définir leur nationalité, devant le morcellement des 18 communautés. Le Liban aujourd'hui est écartelé entre l'arabité et l'occident, entre la Syrie et les Etats-Unis, entre le passé et le présent. Difficile alors de dire ce qu'est qu'être libanais d'autant que le pays est petit (à peine 4 millions d'habitants) et qu'il n'a jamais réellement pesé sur les affaires du monde. Un Libanais ne peut que revenir à des temps très anciens pour trouver un semblant d'amour propre national (ex : l'alphabet phénicien). La question pour les Français ne se pose pas : la France est comme une religion, et je pense que beaucoup de Libanais sont fascinés par notre culte de la Nation, ce qui explique qu'ils se disent plus volontiers français que libanais.

Mais se dire français, pour les Chrétiens, c'est aussi montrer son lien historique avec un pays qu'on dit "la mère du Liban". En se disant français, on plaide pour un type de société, pour une organisation en apparence rationnelle des rapports humains, pour un respect de l'individu, on cherche mentalement une suzeraineté comme au temps du protectorat. Il s'agit de dire "nous chrétiens francophones, préférons être régis par la France que par la Syrie". N'oublions pas que l'indépendance du Liban, toute relative, est récente (1943). On se cherche encore des maîtres devant la petitesse du pays et la puissance dangereuse des voisins.

Et puis, il y a bien sûr le phénomène de frime. Tous les pays du monde comptent des individus qui, pour se distinguer, préfèrent se dire d'ailleurs pour ne pas être confondus avec la masse. J'estime que bien souvent, cette attitude provient d'un manque de confiance en soi qui pousse à inventer une identité artificielle pour se mettre en valeur. Il y aussi de la confusion, mais c’est souvent agaçant car l’individu « singe » une communauté à laquelle il n’appartient pas dans le but de s’en faire accepter, ce qui bien souvent le ridiculise.

Ceci dit, pour revenir au salon, je ne supporte plus ces Libanais qui se pavanent en voulant être plus français que les Français. J’ai beau essayer de comprendre, comme je viens d’essayer de vous le démontrer, la « transnationalité », il est parfois ardu de ne pas perdre son calme devant l’arrogance qui en découle. Une brave dame m'avait reprise un jour (en roulant fortement les R) en me faisant remarquer qu'en français on ne disait pas "ceci" mais "cela". J'étais estomaqué, comme si on j'avais voulu apprendre à un ours à pêcher. Je me disais, un étranger essaie de m’apprendre ma langue maternelle, et en plus se plante. Où suis-je ? Qui est cette conne ? Maintenant, j’ai des accès de colère, mais je plains aussi beaucoup ces « transnationaux » qui peut-être, au lieu d’avoir plusieurs identités, n’en ont finalement aucune. Je crois que ce fait est fréquent dans des pays désarticulés culturellement, le Liban n’étant justement pas si différent des autres dans sa quête d’identité.

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