04 juillet 2006

Facs libanaises

L'éducation au Liban fait l'objet de soins jaloux, et le système fonctionne plutôt bien, voire très bien si on le compare à ses voisins arabes. Si les meilleures institutions du secondaire se considèrent francophones, en revanche, les universités les plus en pointe demeurent anglophones, bien que l'Université Libanaise éduque près de 70% des étudiants dans des conditions aléatoires. L'American University of Beirut serait la meilleure université libanaise de l'avis de tous, de par son ancienneté, son niveau de recherches et sa grande diversité culturelle tant au niveau des étudiants que des professeurs. Toutefois, malgré son très haut niveau d'éducation, l'AUB constitue un paradoxe : très subventionnée par les Etats-Unis de façon directe ou indirecte, elle représente le fer de lance de l'antiaméricanisme sous toutes ses formes au Liban. Les Etats-Unis se plaisent à montrer qu'ils encouragent la liberté d'expression et donc sont heureux de montrer qu'ils soutiennent une institution qui les combat, comme d'ailleurs la plupart des facs dites anglophones. Mais l'AUB, étant basée sur ce système d'éducation privé qui n'arrive pas à s'implanter en France, peut compter sur de nombreuses sources de revenus, provenant notamment de grandes multinationales, et l'université ne se préoccupe pas d'établir des clauses de non compétition entre ses sponsors et fait feu de tout dollar.

Ainsi, selon Maingate, le trimestriel de l'AUB, PepsiCo aurait donné 300 000 dollars pour établir des bourses d'études aux étudiants de l'université, ce qui est plutôt généreux et n'encourage pas à boire du thé. Dans le même temps, son rival Coca-Cola a généreusement octroyé 2 millions de dollars pour créer une chaire de marketing dans la prestigieuse institution. A la suite de cette annonce, 150 étudiants ont été invités à plancher à l'occasion d'un séminaire sur le thème :

In what way can Coca-Cola, through the use of cause-related marketing
and/or community partnerships, utilize the power of its brand to demonstrate its
commitment to the Lebanese society?

Le système français d'éducation supérieur ne marche pas bien, notamment en raison de sa centralisation outrancière et de son mandarinat de service public. Mais quand les facs deviennent privées, et doivent fonctionner comme des entreprises rentables, on a ce genre de problèmes où l'étudiant est transformé en consommateur/ recruteur. Je n'ai pas de solution, je montre juste les limites, et je reste persuadé qu'un équilibre privé/public serait un meilleur garant d'une éducation supérieure de qualité. Les Etats-Unis, malgré tous les défauts qu'on veut bien leur imputer, possède un système performant, avec des facs privées riches à milliards (Harvard, Yale...), mais aussi des universités publiques très bien cotées, comme UC Berkeley ou Penn State.

Mais comme je ne veux pas donner l'impression de n'attaquer que l'AUB, qui reste une excellente université, je voulais aussi aborder l'Université Saint-Joseph, fief des Jésuites depuis le XIXe siècle, et qui intègre également la politique dans ses enseignements. Ainsi, l'Orient-le Jour nous apprend que "Les étudiants en mastère d’information et communication à l’Université Saint-Joseph (USJ) ont élaboré un projet de pacte d’honneur médiatique". Jusque là, très bien. Cette charte ne contient rien de bien nouveau, avec les habituelles tartes à la crème du genre "Rechercher la vérité avec honnêteté et objectivité" qui est quand même le moins que l'on puisse attendre d'un journaliste. Et puis, arrive l'article 5, qui apporte un point de vue intéressant et purement libanais :

Respecter l’intérêt national et éviter de porter préjudice à l’unité
nationale

Or donc, le journaliste doit être intègre, "ne pas se soumettre aux pressions politiques" (article 6 juste après), oeuvrer pour la démocratie, la liberté, les droits de l'homme, contre la faim dans le monde et le sida, bref, un discours de Miss Monde, mais le journaliste doit éviter de "porter préjudice à l'unité nationale", ce qui limite quand même sérieusement son travail critique. Qu'est-ce qui sera considéré comme "préjudice à l'unité nationale" ? Critiquer les hommes politiques/autorités religieuses ? Alors en quoi consistera le rôle des journalistes ? Décrire les rencontres entre hommes politiques/autorités religieuses en s'attachant à évoquer es "excellentes relations et le dialogue constructif" autour d'un café et de quelques friandises ? Le Liban nous a habitué à des journalistes courageux, certains ont perdu leur vie pour leur métier. Il semble que la prochaine génération sera plus docile vis-à-vis du pouvoir, et aura plus à craindre de perdre la vie dans un accident au volant de superbes voitures financées par une allégeance politique bien tempérée qu'à cause d'une bombe dissimulée sous le siège du conducteur.

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