10 novembre 2004

Reprise !

Je reprends intégralement un article très intéressant tiré de L'Orient le Jour d'aujourd'hui. Courage, allez jusqu'au bout.

Analyse -
George W. Bush et nous
Un plan qui s’inspire du vieux Pacte de Bagdad


“Notre soif de puissance n’a d’égale que notre faim de quiétude.”
(Démocrite)

–I– L’Amérique

Il y a ce qu’on dit. Il y a ce qu’on dit moins. Ce condiment, ce nuage de lait, qui permet de mieux cerner la réalité. Grâce au verbe relativiser. Ou nuancer.– On dit : Bush a maintenant les mains libres, les coudées franches. Plus de pression électorale, de nul côté. Comme il se le promet, il va pouvoir aller à la rencontre de l’histoire. Un patron, pour tailler un costume neuf au seul client encore assez nu sur la planète, le Moyen-Orient.

– C’est assez vrai. Sauf que, côté élections, Bush ne peut pas ignorer les intérêts de son parti, toujours impliqué. Et pas seulement pour la prochaine présidentielle, pour le Sénat, la Chambre des représentants, la Cour suprême, les gouvernorats et même les shérifs. C’est le parti qui, plus souvent qu’on ne croit, a le contrôle à l’intérieur. Parfois contre la présidence. Ainsi, au cours des quatre dernières années, le Sénat a biffé sans sourciller dix nominations de juges à la Cour suprême décrétée par Bush. Dont on ne doit pas oublier, non plus, qu’il sera de nouveau présidentiable, dans huit ou dans douze ans. Sans compter qu’il pourrait être tenté de propulser son frère Jeb, gouverneur de la Floride, à la Maison-Blanche. Pour réussir le pari que les assassinats ont empêché la dynastie Kennedy de réaliser.

– On dit : Bush est très fort maintenant. Il gagne par trois millions de voix d’écart, côté vote populaire, alors qu’il avait perdu sur ce plan face à Gore le bien nommé. Côté États et grands électeurs, il est à plus de 52%, un score jamais atteint par un président sortant. De plus, les démocrates, en pleine déroute au Congrès, ne peuvent plus lui mettre des bâtons dans les roues.

– Cela n’est pas faux. Sauf que dans un système fédéral les penchants populaires, forcément localisés, n’ont qu’un lointain rapport avec un pouvoir présidentiel axé sur les questions nationales et supranationales. Ce même système, complexe, atténue au Congrès, par le biais de commissions impérativement mixtes, la mainmise du parti majoritaire. Les USA sont une démocratie où la minorité n’est pas écrasée.

Controverse ignorée

– On dit : Les USA, débarrassés de l’URSS, veulent dominer le monde à eux seuls. Unilatéralement. Alors que l’Europe est naturellement pour la multilatéralité. Au nom, ancien, des équilibres. Équilibre de l’économie, après celui de la terreur qui régnait à l’époque de la bipolarité.

– Dans la tête des Américains, si l’on excepte une minorité côtière d’intellos, les théories de ce genre n’existent même pas. Ou, au mieux sont fumeuses. Leur seule leçon, pratiquement, c’est Pearl Harbor. Depuis lors, comme dit Démocrite, ils veulent être puissants, et tant qu’à y faire les plus puissants, pour être tranquilles.

– Pour ce faire, ils suivent, avec plus de constance qu’on ne croit, des lignes de politique étrangère déterminées. Tel plan, pour l’Europe, tel autre pour l’Amérique du Sud. Concernant notre région, ils restent en gros fidèles aux bases jetées dès le début des années cinquante par Foster Dulles. À travers le fameux Pacte de Bagdad, déjà si bien nommé. Sauf qu’il y a une inversion d’équation. Au lieu de contrôler la politique par le pétrole, ils se trouvent obligés désormais, par Ben Laden (ce sous-Pearl Harbor), de contrôler le pétrole par la politique. D’où le plan Bush-Powell de remodelage de la contrée.– Ils y sont évidemment poussés par un courant dit néoconservateur, radical, qui a le vent en poupe à Washington. Cette ligne a pris corps en 1997 avec le lancement d’une école baptisée American Century. Où se retrouvait le trio infernal, Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz. Ce courant est certainement militariste : dès l’an 2000, il a fait voter des crédits militaires supplémentaires de 50 milliards de dollars. Mais il développe un schéma, régional autant que global, fondé essentiellement sur une conception économique des rapports de force. L’hégémonie devant rester au Nord riche face au Sud pauvre. Mais d’une façon compensée. Par la régulation des marchés. Car, aux yeux de ces penseurs, c’est surtout le chaos dans ce domaine qui stimule le chaos terroriste. Dont pourrait sortir, en fin de compte, le péril d’un nouveau califat islamiste s’étendant de l’Espagne à l’ouest à l’Indonésie à l’est.

Base

– Danger qu’il faut prévenir en travaillant au centre, au Moyen-Orient. Là, la base choisie est l’Irak. Pour le pétrole, clé de domination. En bas de tableau, toujours le même appui sur l’allié stratégique israélien. Et toujours la même théorie de la guerre préventive, au non de l’autodéfense. Frapper pour terroriser. Même et surtout le terrorisme. Comme le répète Rumsfeld, le loup-garou.– Mais Bush, il faut le savoir, n’est ni un père fondateur ni un militant de ce courant extrême. D’ailleurs le messianisme qu’on lui prête, et qui se teinte d’une forte dose de pragmatisme forcé, l’inciterait à moins de radicalisme violent. Il s’est ainsi montré agacé que la nouvelle structure des néo-conservateurs, le Center for Security Policy, installe ses locaux à 500 m de la Maison-Blanche. Et, dès sa réélection, on lui a prêté l’intention de larguer Rumsfeld.

– Car, malgré les signes répétés de défaveur en direction de Powell, rétif aux ondes radicales ou spirituelles, il n’y a pas moyen de mettre de côté le département d’État. En effet, c’est cet instrument qui est seul équipé, outillé, pour appliquer la politique étrangère des USA. Et il ne peut le faire que s’il participe, peu ou prou, à sa confection même. Parfois donc, il a la primauté, surtout quand les armes ne parlent pas, ne parlent plus. C’est donc Powell qui a été chargé d’annoncer au monde que le Moyen-Orient allait changer de face. Pour répondre aux perspectives désagréables d’une montée en puissance économique de la Chine. Contrôlable via un pétrole arabe ou autre mieux contrôlé.

– Dès lors, le conflit palestino-israélien n’est plus le nucleus du dossier régional dans son ensemble. C’est d’abord l’Irak. Par qui l’on a commencé sur le terrain, mais où le changement s’avère pour le moins problématique. Ce pourrait, ce devrait être ensuite le Liban. Où il est plus facile qu’ailleurs, pour Bush, de marquer l’histoire de son empreinte en réalisant une transformation de statut, de fond en comble.

Jean ISSA



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