Le poids des morts
Un média possède toujours des impératifs, une ligne éditoriale, qui lui font choisir des informations plutôt que d’autres et les organiser selon leur importance. On peut comprendre que les médias français, après avoir annoncé l’assassinat de Gebrane Tueni, aient décidé le lendemain du drame de parler d’autre chose. Mais ce qui est curieux, c’est qu’ils aient décidé, de façon quasiment unanime, d’ouvrir leurs éditions avec la mise à mort de Stanley «Tookie» Williams dans l’Etat de Californie. Le propos n’est pas ici de débattre du bien-fondé de la peine de mort, il semble que seule une minorité d’Etats, pour la plupart des dictatures, ait décidé de conserver ce moyen suprême de punition légale. En revanche, ce qu’on peut constater, c’est le militantisme des médias français qui ont souligné que le condamné à mort, fondateur d’un des gangs les plus violents de Californie du Sud, aurait proclamé son innocence et décidé de rejeter la violence pour écrire des livres pour enfants (sic).
Fabuleux conte de fées, l’histoire de «Tookie» Williams a ému nombre d’Américains, mais aussi les médias français qui ont décidé de faire la leçon au gouverneur Schwarzenegger. Toute la journée de ce mardi était donc consacrée à un panégyrique du condamné à mort, et un reproche implicite aux autorités californiennes, ce qui peut se comprendre d’un point de vue moral, mais constitue une prise de position politique forte des médias français, surtout ceux relevant du service public.
Il est des morts qui, hélas, signifient plus que d’autres. On aurait aimé une prise de position forte des médias concernant l’attentat contre Gebrane Tuéni. Que l’on condamne encore à mort aux Etats-Unis est regrettable ; que les médias français se focalisent sur la mort d’un homme qui était à la base d’une organisation de grand banditisme plutôt que sur celle d’un journaliste et homme politique tel que Gebrane Tueni demeure curieux. Le député de Beyrouth avait pourtant longuement séjourné à Paris, rencontré nombre d’autorités et sa francophonie était bien connue. Mais le lendemain de l’assassinat, l’affaire libanaise était médiatiquement classée.