10 septembre 2003

J'ai posé le pied en France, et c'est une bonne nouvelle. Rien n'a vraiment changé depuis mon départ, les mêmes querelles un peu bourgeoises (enfin, il me semble), les mêmes travers, et puis bien sûr les mêmes qualités. J'aime profondément la France, bien que je sois souvent déçu par ce pays qui pourrait faire tellement mieux que de se rejeter la responsabilité en cas de canicule ou de se spécialiser dans les débats franco-français.

Un exemple dont j'avais déjà parlé auparavant : Luc Ferry. Je lis ce matin le journal Le Monde, et tombe sur un article de Dominique Dhombres sur "les tics de Luc Ferry". Examinons si vous le voulez bien comment on arrive à faire un tête de turc d'un homme que je considère éminent, mais à qui on reproche justement de vouloir changer les choses (en bien ou en mal, nous sommes d'accord). M. Dhombres nous parle d'abord de "La belle cravate rose saumon de Luc Ferry" pour nous mettre dans l'ambiance avant d'ajouter que l'émission qui reçoit le ministre se déroule "dans le décor kitsch du grand amphi de la Sorbonne". Bon, le kitsch est effectivement une notion changeante, assez parisienne et plutôt "démodée", mais D. Dhombres semble vouloir dire par là que le decorum est en rapport avec son invité qui porte une cravate différente de ce que l'on peut trouver dans la garde robe des hommes politiques.

A partir de cette rentrée, M. Ferry "est désormais dévoré de tics", ce qui est sûrement un signe de manque de confiance en soi, ou alors de pathologie mal dissimulée. "Le ministre de l'éducation tord sa bouche en cul-de-poule. Il est la proie de froncements de sourcils incontrôlés. Ces mouvements inquiétants s'accentuent lorsqu'il entend quelque chose qui ne lui plaît pas." J'aime beaucoup l'expression "bouche en cul-de-poule" parce qu'elle est à la fois expressive, vulgaire tout en étant couramment admise dans le vocabulaire journalistique. Mais ce qui m'impressionne, c'est que le chroniqueur passe les deux tiers de son temps à nous parler du physique de Ferry qui, il faut le rappeler, n'a aucune incidence sur son action de ministre. Mais si, semble dire Dhombres, parce que "bien qu'il s'en défende, Luc Ferry veut en finir avec l'héritage de mai 1968. Là encore, c'est un tic". Nous y voilà. Délit de sale gueule. Ferry ressemble à un bobo nerveux mais qui aurait honte de faire partie de la génération 68 et qui voudrait tout mettre en oeuvre pour la faire oublier. Notons au passage que Ferry ne s'en défend pas, puisqu'il a commis des ouvrages dans le but de régler son compte à Mai 68. Est-ce un délit ? Mai 68 serait-il la nouvelle révolution française dont les historiens ne doivent pas s'approcher sous peine d'être moqués en public par des chroniqueurs spécialisés dans l'analyse vestimentaire et corporelle ? Je ne comprends pas la haine contre Ferry, tout comme j'ai été choqué de voir les enseignants jeter comme des pavés contre des CRS les livres de leur ministre sous prétexte que celui-ci serait condescendant à leur égard.

C'est la France. Nous aimons nous quereller pour des histoires sans grands enjeux, ce qui est aussi un signe de notre bonne santé. Car pendant que l'on s'affronte sur des histoires de cravate saumon, d'autres peuples manquent de tout, d'électricité, d'eau, de nourriture, de liberté. Je vais faire un effort pour ne pas passer pour donneur de leçons devant mes amis, mais c'est vrai que c'est diificile de ne pas pouffer de rire en entendant les malheurs que l'on peut avoir dans ce pays, comme ne pas être raccordé à l'ADSL, ou avoir un ministre de l'éducation qui a des tics. Au Liban aussi, il avait des tics : il piquait dans la caisse.

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