31 mai 2008

Pris en flag

La température remonte dans notre petite principauté, et avec elle refleurissent les drapeaux. Déjà, rituellement en cette fin de mois de Marie, les oriflammes rouges ornés d'images pieuses qui mettent fin à une période pendant laquelle mes voisins se sont rassemblés tous les soirs pour chanter les louanges d'une statue en plâtre représentant une dame visiblement italienne et bien gaulée. Mais également, à la manière de bourgeons timides qui hésitent à être les premiers à sortir tout en en tirant une certaine fierté, les drapeaux du foot émergent qui sur une voiture, qui sur un balcon, qui sur un t-shirt et préfigurent un des moments préférés des Libanais : celui où ils pourront s'affirmer d'une supra-nationalité et en tirer vanité. On s'en doute, le premier drapeau visible est allemand, son homologue brésilien eut été incongru alors qu'il s'agit de l'Euro. Il ne s’agit pas d’affirmer son amour à un peuple, mais de soutenir, comme on l’avait dit ici mais autrefois, celui qui a le plus de chances de gagner et donc de donner par procuration un peu d’orgueil à ses supporters. Le drapeau libanais apparaissant rarement dans des compétitions sportives internationales, il s’agit de choisir une autre nationalité en la justifiant par des motifs obscurs qui vont de « Mon frère habite en Italie » à « J’aime beaucoup les pâtes » en passant par « Les Italiens ont les plus beaux maillots ». C’est ce qu’on appelle le nationalisme international.

Mais avant que s’ouvre la grand messe du foot, qui va permettre de parquer les abrutis un temps devant leur télé avant de les relâcher dans la rue prêts à étriper l’adversaire, le Liban nous offre encore quelques beaux spectacles. D’abord, la fin du mois de Marie (voir plus haut) qui me fait passer une nuit blanche le 31, quand des centaines de membres de ce qui ressemble au KKK défilent dans les rues de Jounieh pour remonter vers Harissa en chantant des hymnes célébrant Saint Chawarma. A chaque fois, comme ils portent les flambeaux réglementaires, je crains qu’ils ne viennent pour brûler l’athée laïc que je suis, mais heureusement ils continuent jusqu’en haut de la colline laï laï laï. Ensuite, bien sûr ce sont les consultations de Siniora (Mabrouk !)  qui permettront de former un gouvernement. L’inénarrable Aoun réclame bien sûr des ministères clés pour les Chrétiens, sachant que son programme à pour objectif d’aboutir au démantèlement du communautarisme. Les Arméniens réclament aussi le droit à des maroquins (j’aime beaucoup placer cette expression concernant le Liban ; comme si dans le Machrek, on raffolait des Maghrébins). Bref, tout le monde veut des postes dans le gouvernement. Solution copyleft WIL : nommer tous les députés ministres, ce qui permettra une excellente représentation à la libanaise. Enfin, les mobylettes sont interdites dans Beyrouth, ce qui ralentit les livraisons de plats cuisinés à domicile (les « délively ») mais n’empêche pas les tirs de joie à coup de kalach ou de RPG. Nous renouvelons toute notre confiance dans le Président Sleimane.

Mais n’oublions pas la France, qui nous a fourni un très beau spectacle en montrant que le Liban n’est pas le seul à s’enfoncer dans l’obscurantisme, en annulant un mariage au prétexte que l’épouse n’était pas vierge. Tromperie sur la marchandise ! Ah la salope ! Même pas vierge alors qu’on est sûrs que Monsieur, lui, s’était préservé pour le plus beau jour de sa vie. Pour une fois, tout le monde est d’accord pour dire que cette décision judiciaire est d’une bêtise affligeante, comme tout ce qui donne raison à la religion. Mais Mme Dati, en Dior, campe sur ses positions, confondant justice et droit. Mais je vous garantis que si la France gagne l’Euro, tout le monde s’en foutra dans quelques semaines.

(Dernière minute [car je regarde Ruquier en essayant d'ignorer les chants de guerre chrétiens de la procession qui se rapproche] : Jack Lang va en Syrie car il faut prendre langue (hahahaha) avec le régime de Bachar el Assad… Libanais, une lueur d’espoir, si Jack veut rapprocher France et Syrie, y’a des chances qu’on leur mette sur la gueule dans pas longtemps). 

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25 mai 2008

Tango with Michel S.

Au Liban, pas besoin de regarder la télévision pour obtenir des informations : tout est dans la rue. Par exemple, j'ai su avec précision quand le nouveau président a été élu, à 17h36, quand les pétarades ont éclaté. Tirs de joie ou feux d'artifice en plein jour ? Qu'importe, le tout est de saluer de manière tribale l'avènement dune nouvelle ère. Laquelle, on ne sait pas, et on s'en fout, le principal étant que le cauchemar des dernières semaines soit oublié. "Homme, qui t'a fait roi?". Personne ne pose la question, car le voilà qui parle : l'Emir du Qatar a sauvé la situation, et le nouveau président maronite du Liban est approuvé par les Arabes et les sunnites, ce qui suffit comme sceau de présidentialité.

Ce serait facile de se moquer de cette capitulation terrible en arguant qu'on se réjouit un peu tôt, que Sleimane ne résout rien, qu'il reste un homme placé par la Syrie et que les armes du hezbollah sont mises entre parenthèses, ou plutôt remisées dans leurs étuis avant la prochaine fois. Mais à voir le déferlement de klaxons, explosions (non-stop pendant des heures...), chansons patriotiques et brandissages de drapeaux libanais, sans parler de la bouille du nouveau chef des chrétiens un peu partout dans les rues, on comprend que les Libanais avaient besoin d'une bouffée d'oxygène. La diaspora tempère : "ne vous réjouissez pas trop vite, petits frères et sœurs restés au pays, tout n'est pas réglé", tout en se prenant à espérer que ses deux semaines de vacances à la montagne ne seront pas annulées cette année. Mais personne ne les écoute. La diaspora libanaise est prête à tout pour son pays, sauf à aller y habiter. C'est une différence majeure d'avec Israël, vers qui on émigre pour construire et consolider le pays. Chez les Libanais expatriés, on semble attendre que ceux qui n'ont pas pu partir résolvent les problèmes en habitant la France, le Canada ou l'Australie, MAIS on signe toutes les pétitions sur FaceBook ou sur les blogs visant à interdire la guerre et promouvoir l'amour. Allons les amis, vous pouvez faire mieux.

Donc, on est tous d'accord, le consensus entre 8 et 14 mars est mauvais, il n'amènera rien de bon et entérine l'usage des armes par le hezbollah pour défendre ses "droits". Mais aujourd'hui, la joie dans les rues ne doit pas être questionnée. Demain peut-être, quand on se rendra compte que Baabda, occupé ou pas, ne sert plus à rien et que le barbu en chef va recommencer à énoncer ses conditions. Un mot tout de même pour saluer Fouad Siniora qui, s'il n'a pas sauvé son pays, l'a tout de même protégé avec une habileté diplomatique étonnante, évitant la guerre avec Israël et le hezb, et réussissant à maintenir une certaine crédibilité malgré ses puissants protecteurs Hariri, Joumblatt et Geagea. Il a réussi à s'en sortir vivant, souhaitons-lui une belle retraite, si possible hors du pays. Il a mérité de signer des pétitions FaceBook et de s'indigner de la situation actuelle depuis Montréal. Diaspora, ouvre-lui tes bras !

Et n’oublions pas qu’il existe une grande raison pour faire la fête : ce n’est pas Aoun qui sera président cette fois-ci.

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20 mai 2008

Ubuntu

Il est parfois bon de prendre du recul en ces temps de crise libanaise. On ne peut pas comparer le Liban avec l'Afrique du Sud, mais ce qui s'y passe en ce moment mérite l'attention. Comme on pouvait le prévoir, les millions d'immigrants fuyant les régimes dictatoriaux voisins, en particulier du Zimbabwe, subissent la vindicte d'une population qui se paupérise à mesure que le pays lui-même devient de plus en plus riche. Récemment, on a pu assister à ce que la presse a nommé "pogroms", terme fort mais qui me semble trop connoté en ce qu'il désigne d'abord les massacres de juifs et de tziganes en Europe de l'Est et en Russie. Plusieurs immigrés ont été roués de coups, tués en pleine rue et on a même pu voir ces images insoutenables d'un homme brûlé vif, juste parce qu'il serait l'un de ces voleurs de travail dans un pays où le taux de chômage atteint 40% d'une population qui peine à trouver un modèle post-apartheid.

Ceux qui lisent ce blog depuis au moins l'été dernier savent à quel point je suis tombé amoureux de l'Afrique du Sud, au point d'y projeter un exil dans un futur très proche. Cette "nation arc-en-ciel" a permis la création d'une philosophie appelée ubuntu, que l'un des rares ecclésiastiques respectables, Desmond Tutu, a pu définir ainsi :

Quelqu'un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand — et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou oppressés.


Imaginez ma joie d'entendre un prêtre mettre l'intérêt de l'humanité avant l'idéologie fumeuse de sa religion ! Ubuntu est à la base de la réconciliation nationale, qui a évité des bains de sang après une apartheid désastreuse et fasciste. Au Zimbabwe, ubuntu se dit unhu en shona, ce que je trouve curieusement proche de ONU. Ubuntu est un concept africain, qui reste du domaine de la philosophie, mais qui pose les bases d'une nation dont l'avenir oscille entre cauchemar absolu ou au contraire modèle de coexistence pour tous. Le "berceau de l'humanité" comme phare d'une nouvelle civilisation globale. Belle idée qui rejoint celle des Nations unies comme lieu de discussion des hommes, et qui remplacerait la guerre où personne ne gagne.

Libre à vous de trouver l'Afrique du Sud bien éloignée des préoccupations des Libanais ou des Français mais ubuntu pose que chacun est lié et doit se sentir concerné par son prochain. L'un des gros problèmes de l'Afrique du Sud reste ses dirigeants, en particulier Thabo Mbeki dont la tolérance à l'encontre de Robert Mugabe commence à échauffer les esprits. Jacob Zuma ne sera peut-être pas meilleur, mais tant qu'en Afrique du Sud j'entendrai ubuntu, je garderai espoir devant les atrocités commises en ce moment à JoBurg. La langue libanaise est connue pour incorporer rapidement des expressions et concepts d'autres langues. Pourrait-elle dépasser le dédain massif de la population pour les Africains et incorporer une notion aussi universelle et moderne qu'ubuntu ? On en résout pas les problèmes avec seulement des mots, mais ils permettent parfois d'éviter les conflits. In Ubuntu I trust.

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18 mai 2008

Bis Repetita

Imaginez qu'au moment où je vous parle, à minuit, il existe encore des demeurés au Liban pour tirer un feu d'artifice depuis le Casino. Je vous laisse deviner le niveau de classe et de QI que possèdent les instigateurs de cette élégante façon de montrer, un dimanche soir, et après des jours de vrais tirs, que leur fille cadette Zeina se marie enfin avec l'ingénieur Khalil et qu'il est important de montrer à quel point c'est crucial en foutant le fric par les fenêtres, en réveillant tout le monde, et en nous faisant nous demander si la guerre civile n'est pas déjà arrivée dans cette enclave "chrétienne" réputée pour sa sanctuarisation (pas sûr que le mot existe mais vous avez compris l'idée).

Car on peut douter que les pourparlers de Doha amènent leaders de la majorité et de l'opposition à trouver une solution pour le Liban. D'abord, on remarque que la dernière fois qu'une telle réunion s'est produite, c'était en France. Cette fois-ci, le centre de la diplomatie s'est déplacé vers un pays qui entretient certes d'excellentes relations avec les USA, mais reste loin d'être un modèle de démocratie pour le reste du monde. Il semble que toutes les belles idées concernant la préservation de la démocratie libanaise fassent partie du passé, et qu'il s'agisse maintenant de trouver un avenir réaliste au Liban. La dernière démocratie arabe deviendrait donc ipso facto, grâce aux grands frères arabes, une sorte de Disneyland hallal, mais où on pourra picoler et aller aux putes tranquillement, et même tirer des feux d'artifice au casino. J'aime beaucoup cette photo (Libération/Reuters) car elle illustre la réalité qui veut que les copains sunnites du Premier ministre Fouad Siniora lui dictent maintenant d'homme à homme comment il doit se comporter à l'avenir pour éviter d'autres affrontements avec le hezb. Celui-ci a déjà fait savoir que ses armes ne sont pas un sujet de négociation ; le principal point de litige libanais ne sera donc pas abordé, et cette réunion ne sera qu'une occasion pour les leaders libanais de visiter le Qatar et d'apprécier sa spectaculaire ouverture sur le monde.

Je ne pense pas qu'il soit encore possible d'attirer l'attention de l'opinion publique sur ce qui se passe au Liban. Pourquoi se préoccuper de 80 morts au grand maximum quand la Chine recense ses victimes par milliers, et que la Birmanie compte en dizaines de milliers les morts de catastrophes naturelles ? Je vais quand même tenter d'expliquer pourquoi, même si on n'apprécie pas le Liban, il est urgent de se préoccuper de son sort simplement par égoïsme. Imaginez, amis occidentaux, que le hezbollah accomplisse son objectif de devenir un parti légitime et honorable, tout en gardant ses armes. Croyez-vous une seconde que le hezbollah va s'arrêter là ? Qu'il va se contenter de récupérer éventuellement les fermes de Chébaa et devenir un bon voisin respectueux de l'existence d'Israël et entretenir des liens cordiaux avec l'occident ? Le Liban va très vite devenir une annexe de l'Iran, de la Syrie ou des deux, bien que leurs objectifs soient assez divergents. Les réunions du hezb sont souvent scandées des cris de "Mort à Israël, mort à l'Amérique, mort à l'occident". On trouvera toujours d'éminents linguistes pour considérer que la traduction n'est pas tout à fait bonne, et qu'ils ont beau le hurler, ils ne le pensent pas vraiment, c'est juste de la motivation pour le middle-management, au final, la haine contre ces trois entités est entretenue. L'occident n'intervient pas au Liban par peur des attentats sur son sol, et la France, comme les USA, garde un souvenir cuisant des bombes islamistes. Si le hezbollah garde ses armes, devient un acteur politique du débat libanais et continue sa progression d'influence et de popularité parmi la coalition des anti-américains, antisionistes, antisémites, anti-capitalistes, islamo-gauchistes etc., on peut parier à peu de frais que les attentats se produiront quand même en occident, mais à une échelle largement supérieure à ce qu'ils pourraient être aujourd'hui si les pays occidentaux réagissaient contre le coup d'Etat du hezb. En ne faisant rien, ils ouvrent la voie à une médiation du Qatar, qui a beau accueillir une base américaine et des facs étrangères, n'en reste pas moins un pays dont l'idéologie est très éloignée d'un certain esprit des Lumières.

Est-ce le seul choix pour le Liban ? Un Iran-bis sous contrôle hezbollah ou un parc d'attractions pour bédouins hypocrites ? Encore une fois, je ne le crois pas, mais la solution ne passe d'évidence plus par les Libanais. Elle se joue en grande partie à l'étranger, et il est urgent de réagir autrement que par des communiqués indiquant l'état de préoccupation du Quai d'Orsay, le tout étant d'amener la diplomatie, si possible onusienne, à une meilleure alternative qu'un règlement du problème par l'armée israélienne. La diaspora libanaise se rassure en créant des groupes sur Facebook prônant l'amour et la joie et en exhortant à l'amour du prochain. Je pense qu'il est temps de miser plutôt sur l'égoïsme des occidentaux qui doivent convaincre leurs leaders que l'avenir de la civilisation basée sur le respect de tous, l'égalité entre hommes et femmes et la liberté de la presse (entre autres) passe par le Liban. Avec un léger détour par Doha.

Et vous avez remarqué ? On peut parler du hezbollah sans gagner de point Godwin. Mais le coeur y était.

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14 mai 2008

Goodbye Watan?

D'abord, il y aura de moins de moins de gens qui penseront au Liban. Je le sens déjà quant à la fréquentation de ce blog. En France, par exemple, il est temps de reprocher à Sarkozy d'avoir manqué à sa parole vis-à-vis des Talibans. Imaginez qu'on trouve dans mon pays natal des gens qui préfèrent les Talibans à Sarkozy, vous mesurez à quel point ils vont se faire un devoir de soutenir le hezbollah. Car il y a de nombreux Français qui sont persuadés que le hezb, c'est la résistance ! La résistance à quoi ? A la démocratie, à l'impérialisme, à Israël, aux USA, au 21ème siècle, je ne sais pas. Hier soir, quand les canons ont de nouveau tonné vers le ciel pour fêter la ènième défaite du gouvernement à maintenir un semblant de démocratie, on a été beaucoup à se sentir tristes. Comprenez-moi : si le hezbollah prend le pouvoir au Liban, je m'en fous pas mal, je me casse. Mais j'ai beaucoup de peine en pensant à ceux qui restent et qui ne sont pas d'accord avec une prise d'otages de centaines de milliers de personnes. Non en fait, je m'en fous pas.

On trouve aujourd'hui un nombre d'idiots utiles remarquables. Le plus souvent, ils ne s'en rendent pas compte mais ils sont idiots à un point phénoménal. Je ne parle pas de Chomsky, qui joue au con, ni de George Galloway qui doit bien être élu pour manger. Je parle de tous ceux qui vont y aller de leur commentaire dans Libé, ou Le Monde, pour souligner à quel point ON nous trompe, ON nous ment, On ne nous dit pas toute la vérité, ON conspire contre le bon peuple, On veut nous faire avaler n'importe quoi sur la situation libanaise. Reprenant en choeur la propagande aouniste et hezbollahis, ces ânes se font une joie d'étaler une pseudo-science qui a tant inspiré Desproges (confiture, parachute...) pour affirmer haut et fort que : Hariri est riche, Geagea est un criminel de guerre, Joumblatt a soutenu la Syrie et Gemayel est un facho alors que le Général, Der General, est propre comme un sou neuf et le sayyed est le seul à donner son âme pour le Liban.

Bon, ce dernier argument a sauté ce week-end, mais on trouvera toujours des jean-foutres pour justifier la tentative de coup d'Etat. Saluons au passage les Druzes et leur hallucinante capacité à résister à n'importe quel envahisseur, avec un fusil de chasse ou une fronde en bambou. Mais revenons aux arguments des idiots utiles. Disons-le simplement : CE N'EST PAS LA QUESTION. Le problème n'est pas de soutenir une clique au pouvoir, association bancale et temporaire qui n'a rien de glorieux. L'idée est de trouver une façon de gouverner tous ces gens qui vivent côte-à-côte mais pas ensemble. Le problème n'est pas de se flageller comme un chiite pendant Achoura ou un taré de l'Opus Dei pour montrer qu'on est prêt à saigner pour les chefs de guerre de la majorité, l'important est de comprendre que le gouvernement, lié au mouvement du 14 mars mais distinct, demeure la dernière manifestation de l'Etat souverain libanais et que sans lui, le chaos s'installera non pas au Liban, mais dans tout le Moyen-orient. Et qui sait, peut-être au-delà. Je ne vais pas me relancer dans une comparaison entre la région et la vision de Frank Herbert dans Dune, mais parfois on se demande qui sont les Fremens.

On s'interroge : que peut-on faire pour le Liban ? J'ai envie d'être un peu concret et de dire ceci : aux non-Libanais, comme les Français, rester informé, mais bien informé. On peut tout à fait s'intéresser au mariage de la fille de l'ex de Nicolas Sarkozy tout en gardant un oeil sur Beyrouth. Il y a des médias et des blogs pour ça. Aux Libanais, je voudrais dire que l'espoir n'est pas perdu, même si le gouvernement a baissé son froc et que la Ligue arabe a fourni du lubrifiant. Il y a encore beaucoup de choses à faire et résister, ce n'est pas seulement avec des armes. C'est aussi arrêter de prendre le Liban pour une poubelle en balançant ses déchets par terre (le type à qui j'ai demandé si ça lui plairait que j'aille chier sur son lit est toujours choqué je crois). Conduire en respectant les autres. Aller voter coûte que coûte. Ne pas renoncer. Comprendre et accepter que quoi qu'il arrive, le Liban a des voisins plus bruyants que la Belgique et le Luxembourg. Eduquer les enfants. Bien traiter ses bonnes car un pays qui maltraite les êtres humains ne doit pas s'attendre à ce qu'on éprouve de la compassion à son endroit. Il y a beaucoup de choses à améliorer au Liban, mais il existe un énorme potentiel. Moi j'aimerais un jour que les Libanais nous surprennent pour autre chose qu'un nouveau massacre. Et j'y crois.

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12 mai 2008

Non, Karajan n'est pas d'origine arménienne

Essayons d'ouvrir les yeux. Nous sommes face à un conflit où les forces en présence se définissent non pas par leur programme politique (quoique...), mais par leur appartenance à un clan, leur croyance dans un rite, leur allégeance à un chef de guerre. Comment analyser, avec des repères occidentaux ou "développés", la situation libanaise ? Quand j'évoque la ressemblance entre Nasrallah et Hitler, entre le hezb et les SS, Amal et les SA, 14 mars et le KPD (non, ça s'est pas bon), je me fais critiquer au prétexte qu'on en est limite au point Godwin. Pourtant, l'histoire a l'air de se répéter, mais le présent est trop confus à nos yeux pour qu'on puisse en tirer une quelconque sagesse, d'où la nécessité d'utiliser des repères du passé. Bon, 1 point Godwin quand même. Donnez-le à qui vous voulez.

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Qui veut quoi au Liban ? Chacun veut le pouvoir, on l'a compris. Mais pour quoi faire ? Le seul à n'avoir jamais menti sur ses intentions une fois qu'il serait installé reste le hezb qui n'a jamais caché qu'il verrait d'un bon oeil, à condition que tous les Libanais en soient d'accord, l'instauration d'une république islamiste chiite. Mais Aoun, Geagea, Hariri et consorts ? Quel Liban souhaite-t-il pour l'avenir ? Imaginons que nous sortions de cette crise avec un gouvernement de consensus ou de nouvelles élections qui, ô surprise, donnerait un nombre de députés tel aux forces de l'opposition qu'elles deviendraient la majorité . Que se passera-t-il ? Les Libanais vont-ils accepter de payer, horreur, des impôts ? De s'accorder sur la nécessité d'obtenir des transports en commun et des espaces verts multiconfessionnels ? Vont-ils s'apercevoir de la nécessité d'un service public fort, ossature d'une société civile diverse mais unie ? On peut en douter, et quand je vois les combats entre miliciens au Liban, ce qui m'inquiète le plus, c'est l'après, quand les canons ne tonneront plus et qu'il faudra reconstruire ensemble ce qui n'a jamais existé.

Au Liban, on présente souvent son identité avant d'exprimer son opinion : Moi je suis chrétien MAIS je comprends le hezb, ou moi, je suis chiite, MAIS je ne soutiens pas Aoun. Tout est basé sur l'appartenance géographique et communautaire. Mais tout se fonde aussi sur la crise en ce sens que l'appartenance clanique est définie par le rejet de l'autre : le sioniste, le chrétien, le musulman, l'occidental, l'étranger, etc. Ce n'est pas propre au Liban, mais c'est un pays qui exacerbe cette micro-appartenance devant les nombreuses différences que chacun va se trouver avec l'autre. Les combats prendront fin, éventuellement. Mais sur les ruines, quel drapeau brandir ? Le plus simple serait de laisser le hezb triompher : son étendard clame, ce qui est plutôt pratique, que dieu est avec eux. Comme les nazis autrefois qui arboraient un fier "Gott mit Uns". Et voilà, un 2ème point Godwin.

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10 mai 2008

Barbarians at the Gate

J'ai souvent des internautes qui m'écrivent pour me demander mon pronostic sur l'avenir du Liban, soit qu'ils veulent/doivent y emménager, soit qu'ils aient envie d'y faire du tourisme. Jusqu'à présent, je répondais invariablement la même chose : ça peut péter à tout moment ou rester calme pendant des mois. L'avantage, c'est que je ne risque pas de me tromper. Et le Liban me donne toujours raison.

Les récents évènements beyrouthins sont une nouvelle preuve de l'instabilité extrême du pays qui jusqu'à présent était accepté par tous. Au Liban, on s'inquiétait de la fermeture des pubs de Gemmayzé, de celle programmée de Monoprix ou des prochains concerts donnés par quelques artistes courageux ou inconscients. Il faut nous comprendre, le Liban n'est pas en ébullition culturelle. La production intellectuelle francophone est indigente, et on a tendance à se concentrer sur ce qu'on a. A l'étranger, le Liban ne faisait plus la Une des journaux et pour cause : pas de morts en nombre comme en Irak ou en Birmanie, pas de glamour comme le mariage d'une speakerine avec le roi du rire banlieusard, pas de scandale comme les retards dans les transports en commun ou la spéculation sur le pétrole. On pensait donc le Liban assagi, et on attendait l'été dans le monde entier, en prenant soin de lire quelques conseils de régime pour la plage entre deux photos de mariage de la speakerine avec le roi du rire banlieusard. Et on avait raison. Si on commence à s'inquiéter de ce qui pourrait arriver de grave, alors qu'on a déjà du mal avec ce qui se passe de dramatique, on aurait même plus assez des yeux pour pleurer.

Le hezb sait tout cela, et a profité de la lassitude de l'opinion publique, ainsi que de sa capacité à accepter la loi du plus fort pour réussir son coup d'Etat. Les chancelleries sont préoccupées, mais surtout par la violence qui pourrait toucher leurs ressortissants. Elles mettront du temps à réaliser qu'un parti fasciste a fait main basse sur le pays en menaçant de créer encore plus de chaos si on ne lui cède pas. Le 14 Mars a fait le dos rond, espérant se poser en victime et désireux d'éviter de remplir un rôle qu'il pourrait laisser à d'autres comme d'habitude. Nettoyer au Karcher le Liban ne sera donc pas la tâche ou la tache de la majorité. On s'en doutait un peu, on le voit maintenant, il va encore falloir que ce soit accompli par l'extérieur. Mais qui ? Chacun propose sa méthode, avec notamment Israël qui feint de ne pas s'en occuper sur l'air de "on vous l'avait bien dit".

Pour ceux qui en doutent, il est bon de le répéter : le hezbollah a fait un coup d'Etat et ses méthodes n'augurent rien de bon même si elles ne surprennent pas. L'attaque de la chaîne de télévision Future TV appartenant au clan Hariri est peut-être un réglement de comptes politique, mais c'est surtout une atteinte à la liberté d'expression qui donnera lieu à de nombreuses répétitions. L'ironie c'est que ceux-là même qui avaient approuvé la fermeture de la chaîne MTV se retrouvent maintenant à geindre sur la disparition (temporaire on espère) de la Future. Mais au Liban, le méchant c'est toujours l'autre. Et à force de crier au loup, je doute qu'on se rende compte de l'importance historique de la prise du pouvoir de la dernière démocratie arabe par l'Iran et la Syrie. Vieille histoire diront certains. Quand ils ont fermé la Future, je n'ai rien dit, je ne suis pas allé à la manif par peur de me faire tirer dessus. Et quand ils fermeront les blogs, je serai parti j'espère depuis longtemps. Après tout, un hezbollahistan au Liban, ce peut être amusant. Tant qu'ils ne ferment pas les pubs de Gemmayzé.

Un mot enfi, en forme d'épitaphe, pour Aoun, qui déclarait hier avec un aplomb digne d'un homme qui refuse la réalité :

Aujourd’hui (hier) est une victoire pour le Liban et non pas (une victoire) d’une partie sur une autre. C’est une victoire dans le sens d’un retour au pacte national, au rééquilibrage entre les composantes de la société libanaise. Cet équilibre était rompu, ce qui avait provoqué des problèmes politiques, des interférences internationales et une atteinte à la stabilité. La crise dure depuis plus de deux ans et demi. Je me suis adressé par le passé aux pays étrangers et au Conseil de sécurité et je les avais prévenus que nous nous orientons vers une situation de confrontation. J’ai adressé une note à Ban Ki-moon et aux membres du Conseil de sécurité. Mais malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’échos pour résoudre le problème. Je me suis adressé aux Libanais à plusieurs reprises pour leur dire de ne pas se procurer des armes car elles ne serviraient à rien.


Sans commentaire. Ou plutôt si. Aoun se rêvait De Gaulle, il finira Pétain.

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08 mai 2008

Feux de joie à Beyrouth pour célébrer les 60 ans de la Glorieuse Nation d'Israël

Ne me dites pas que vous êtes étonnés de la situation du Liban !? Ou du discours de Nasrallah ?! Y-a-t-il quelqu'un qui ait pu douter une seconde, en toute bonne foi, que le hezb ne se préparait pas à la guerre civile ? Evidemment, il n'est pas le seul, et c'est là où je commence à sérieusement douter du sens stratégique du barbu en chef. Pour le moment, l'armée laisse les partisans de Hariri s'occuper du hezb, et pourrait intervenir, avec les FSI, pour encore enfoncer les séditieux. Nasrallah, malgré ses roquettes inutiles en cas de guérilla, n'a pas l'air de mesurer le nombre d'adversaires qui vont se faire un devoir de lui rappeler qu'il n'est pas si facile de se proclamer roi du Liban. Il faut faire des alliances, et le général orangé n'est pas de taille. Ou il soutient les émeutiers (qui bloquent l'aéroport et les points centraux de Beyrouth à coup de scooters et de bulldozers) et se met la population à dos, ou il ne les soutient pas et le hezb va lui rappeler les termes du pacte. Avec force.


J'estime que Nasrallah ne cherche pas la guerre civile, mais à la manière de Hitler en 1938, pousse ses pions pour voir à quel moment on va l'arrêter. Je ne suis pas fan du terme "islamo-fascisme", mais il est vrai que le leader du hezb a autant appris de ses maîtres syro-iraniens, formés à la bonne école soviétique, que du fascisme européen que ses prédécesseurs politico-religieux ont soutenu sans réserve. Le chef du hezb s'attendait-il réellement à une telle démonstration de force du Courant du futur dans les rues de Beyrouth ? Après le déclenchement de la guerre de juillet 2006 entre ses troupes et Israël, Nasrallah avait dû convenir qu'il ne pensait pas que l'Etat hébreu lui réponde avec autant de force. Ici encore, ses rodomontades habituelles laissent à penser qu'il essaie de créer un climat de terreur en sa faveur quand il paraît déjà évident qu'il ne contrôle pas la rue. Son appel aux autres nations arabes est pathétique, voire insultant : proclamant que le hezb est responsable des deux seules défaites d'Israël, il laisse à penser que l'Egypte a perdu en 1973, ce que Moubarak ne laissera pas passer. Nasrallah est dos au mur, sauf que derrière le mur, il y a aussi Israël, qui apprécierait sûrement de faire d'une pierre de fronde du roi David deux coups : célébrer l'anniversaire de sa création avec le hezb comme gâteau.


Résumons : le hezb peut à peine compter sur les aounistes, et sur un soutien distant mais technique de la Syrie et de l'Iran. Contre lui, il a dans l'ordre de ceux qu'il a insultés cet après-midi : le gouvernement (le gang), les druzes de Joumblatt, le Courant du Futur de Hariri, les Forces Libanaises, l'armée, les FSI, la France, les pays arabes, les USA, Israël, l'ONU, j'en oublie... Heureusement qu'il a aussi les Marada, fiers combattants chrétiens fidèles à l'opposition. Sinon, on pourrait vraiment penser que Hassan Nasrallah est dans la merde.

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05 mai 2008

We are One

Hier, avant de quitter Paris, je suis allé voir Sofiane à l'hôpital. Le 11 décembre 2007, lors des attentats qui ont frappé les Nations Unies à Alger, Sofiane est resté coincé 17 heures sous les décombres de l'immeuble. "18 heures" corrige sa mère qui a assisté au calvaire de son fils jusqu'à ce qu'il soit libéré, exsangue et au bord de la mort. Finalement, Sofiane a eu de la chance, il n'a eu qu'une jambe amputée. A pas encore trente ans, il a échappé à la mort, et même s'il a eu du mal à accepter d'être amputé, il a décidé, avec le soutien de sa hiérarchie aux Nations Unies, de revenir travailler pour le PNUD dès qu'il sera "sur pied". J'ai pris une belle leçon d'humanité avec Sofiane. Et son courage a renforcé mon attachement à cette grande idée malmenée qu'est l'ONU.

Les terroristes qui ont attaqué Alger en décembre 2007 sont les mêmes que ceux qui ont attaqué les bâtiments de l'ONU en juillet 2006 à Beyrouth. Ceux qui ne comprennent pas que les Nations Unies, avec tous leurs défauts, incarnent la seule solution politique à l'avenir de l'humanité. Sans les Nations Unies, les grandes puissances continueraient leurs stratégies d'empire. Sans ce formidable outil supranational, la planète irait beaucoup plus mal qu'aujourd'hui. Les cyniques, les barbus, les imbéciles et les ignorants peuvent se gargariser des échecs de la diplomatie onusienne ; il n'empêche que son rôle, s'il n'a pas toujours été positif, n'a jamais été négatif. Mieux, le "machin" comme on l'appelle à la suite d'un homme d'un autre temps, coûte peut-être cher, mais rapporte énormément. Sans l'ONU, il n'y aurait plus de Liban par exemple. Les Nations Unies incarnent un avenir meilleur, bien loin des hypocrisies politiques comme ces jeux olympiques dont on nous dit qu'ils encouragent les valeurs humanistes, quand ils ne prônent que la compétition et l'écrasement de l'adversaire. Quant à l'Europe, on cherche encore à comprendre ce qui permet d'entrer dans ce club fermé de pays riches et "chrétiens", à la manière d'un mauvais country club.

Le hezbollah se réarme. Il le dit ouvertement et dirige ostensiblement ses armes vers l'intérieur des terres libanaises. En cas de conflit, la FINUL devrait intervenir mais son mandat limité et son armement peu en rapport avec la puissance des belligérants risque d'en faire un dommage collatéral. Il est temps de se préoccuper sérieusement de la situation et d'admettre une chose essentielle : les Libanais ne sont pas capables de trouver une issue à la crise qui les paralyse depuis maintenant des années. L'ONU doit s'emparer de la situation et régler le problème avec les différents acteurs qui en viennent déjà progressivement aux poings, avant de revenir aux bonnes vieilles habitudes. Intervenir au Liban sera considéré comme de l'ingérence, mais ce sera plutôt la fin d'une hypocrisie puisque les grandes et les moyennes nations interviennent au Liban quotidiennement. Aucune nation, si puissante soit-elle, n'est capable de résoudre la crise seule. La seule solution passe par un organe supranational décrié, mais primordial, qui, tant qu'il ne sera pas reconnu à sa juste valeur, produira son lot de victimes désigné à la vindicte populaire par les adeptes d'un nationalisme d'une autre époque.

Sofiane sera transféré la semaine prochaine dans un centre de rééducation où il recevra une prothèse qui remplacera sa jambe. J'aimerais surtout qu'on ne lui prenne pas ce qui l'empêche de tomber dans la dépression : sa conviction qu'il pourra servir la cause de l'humanité, même amputé.

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